Les Maqâmât, oeuvres fondamentales de la littérature arabe

Les Maqâmât, oeuvres fondamentales de la littérature arabe

2935
« Les séances ou Maqâmât » de Al-Hamadani. Orients éditions

Des bains à la mosquée en passant par la taverne, Les Maqâmât ou Séances d’al-Hamadânî introduisent le lecteur aux pérégrinations d’un duo atypique dans le territoire immense de l’Empire musulman. Illustré de façon inédite par une sélection d’oeuvres d’al-Wâsitî extraites d’un manuscrit de 1222, ces récits présentés par André Miquel, sont le témoignage unique de la vie de l’homme du peuple du Moyen-Orient tel qu’il fut au Moyen-Âge.

Aux alentours de l’an 1000, à l’âge où l’adab – guide de conduite et principe régissant l’érudition – détermine la valeur du récit et sa transmission, al-Hamadânî se démarque avec un genre nouveau : la maqâma. Dans une série de courtes narrations rapportées par le personnage d’Îsâ Ibn Hichâm lors d’assemblées savantes telles qu’elles étaient courantes à l’âge d’or de l’islam, il relate les visites du héros protéiforme d’Abû l-Fath Iskandarî – parfois mendiant, souvent truand – dans les cités-capitales qui foisonnent. La dynastie des Abbassides, puissance dominante, est au Xe siècle à la tête d’un empire musulman qui entame déjà son éclatement. Elle perd une partie conséquente de son pouvoir au profit de la dynastie chiite des Bûyides, qui prend le contrôle de Bagdad, capitale de son califat. Des pans entiers du territoire de l’empire qui s’étendait, deux siècles plus tôt, de la péninsule ibérique jusqu’en Asie centrale se sont déjà détachés, avec la formation d’états indépendants. Ainsi de nombreuses villes, sièges de dynasties émergentes, s’illustrent comme nouveaux centres politiques, économiques et culturels. Mais le démantèlement progressif du califat abbasside ne fléchit pas le rayonnement du monde arabo-musulman, alors à son apogée.

Crédit photo: Bibliothèque nationale de France (manuscrit, Arabe 6094)

En prose rythmée par le « sadj’ », style aux assonances cadencées qui évoque la transmission orale et les textes du Coran, Les Maqâmât ou séances, esquissent le portrait de la vie citadine à l’âge médiéval dans un territoire qui s’étend du Croissant fertile à l’Asie centrale en passant par la péninsule arabique. L’écriture, longtemps réservée à l’élite, est une ressource limitée lorsqu’il s’agit de définir les moeurs de l’époque au-dehors des palais fréquentés par les riches mécènes et leurs protégés. Mais al-Hamadânî, voyageur habitué des strates populaires de la société, rapporte avec ses séances les actes et propos tel qu’il a pu les croiser au fil de ses errances, par le biais d’un avatar distancié en la personne de Ibn Hichâm. En un temps où l’excellence linguistique est mesurée à la délicatesse du vers, les prosateurs sont relégués au rang de précepteurs : distributeurs et maîtres du bon savoir et du savoir bien dire. Al-Hamadânî, avec ses récits dominés par l’éloquent fripon, Iskandarî, bouscule les usages en attribuant à un personnage d’escroc l’agilité verbale et la vivacité d’esprit attendue de l’honnête homme, adepte de l’adab. À travers les élocutions charmantes de ses protagonistes, celui que l’on surnomme « Badi al-Zaman », prodige de son époque, manie la langue arabe avec une adresse qui ne perd rien à la traduction.

Crédit photo: Bibliothèque nationale de France (manuscrit, Arabe 6094)

Publiées aux côtés d’iconographies d’al-Wâsitî, peintre arabe du XIIIe siècle, Les Maqâmât ou séances d’al-Hamadânî, font une fresque exceptionnelle de l’existence au commencement du dernier millénaire dans le Moyen-Orient. Présentée par André Miquel, historien spécialiste de la langue arabe, cette oeuvre qui rassemble un choix de quinze textes indépendants offre aux compositions colorées d’al-Wâsitî une dimension nouvelle. Prélevées d’un manuscrit de la Bibliothèque nationale de France qui rassemble les Maqâmât d’al-Harîrî, auteur qui popularisa le genre à la suite d’al-Hamadânî, ces illustrations n’étaient pas toujours des interprétations exactes du texte qu’elles accompagnaient. Et si Harîrî a permit aux maqâmat d’arriver jusqu’en Espagne, où elles ont sans doute contribué à la genèse du récit picaresque, c’est à la forme de la langue plus qu’au portrait des usages qu’il se dévoue. Al-Wâsitî, avec ses représentations riches de détails – que ce soit dans les décors ou les personnages – permet, en contraste, un retour à la source par l’image, en dressant des scènes vivantes de la société de son temps. Ici, associées à l’oeuvre d’al-Hamadânî, les peintures d’al-Wâsitî composent le tableau dense d’un univers dont il ne nous reste que quelques précieux fragments.

Édition: Orients éditions, 109 pages, 14,50€ en vente sur orienteditions.fr et amazon.

Syrine Gouni

Commentaires

commentaires