La Casbah d’Alger : visite guidée et regards croisés, par Ro Caminal

La Casbah d’Alger : visite guidée et regards croisés, par Ro Caminal

3260

La résidence d’artistes, Dar Abdellatif à Alger, a accueilli l’an dernier en octobre la plasticienne espagnole Roser Caminal venue présenter une exposition d’art contemporain sur la Casbah d’Alger intitulée « Architecture des ensembles»,

Roser Caminal, appelée Ro Caminal est une artiste espagnole Barcelonaise. En parallèle de ses études universitaires en anthropologie, elle se forme également aux beaux-arts. Depuis plus de dix ans, Ro développe sa pratique artistique en explorant le monde de la re-présentation, en « s’hybridant » sans discipline entre les deux domaines. Elle a participé à de multiples expositions collectives et individuelles à travers le monde et ses films ont été projetés dans de nombreux festivals. Lauréate de nombreux prix tels que le Contextador (2013) et le ​​Ciutat de Valls (2015), à la Biennale Guasch- Corantny, son travail est représenté dans les collections du Musée de Valls, dans le Fonds d’Art Contemporain de la Generalitat de Catalunya et dans le Civit Private Collection.



<!– @page { margin: 2cm } P { margin-bottom: 0.21cm } –>
Portrait Ro CAMINAL – ALGER, oct 2018 –
© RC


Son exposition à Dar Abdellatif à Alger s’inscrit dans le cadre d’un projet intitulé « Résistance en bord de mer ». Il s’agit d’un travail de recherche que Ro a porté sur cinq villes maritimes situées sur les rives de la Mer Méditerranée ; Alger (Algérie), la Goulette (Tunisie), Alexandrie (Egypte), Sliema (Malte), Barcelonnette (Espagne). Elle veut restaurer le miroir de l’Histoire à travers les Histoires croisées des villes du bassin méditerranéen.

Son étude sur la ville d’Alger est principalement liée à la question de l’urbanisme, notamment aux particularités de la Casbah d’Alger et ce qu’elle symbolise au-delà de la construction architecturale. Ro s’est penchée sur l’ensemble de l’organisation sociologique et sur la dimension historique. Ainsi, à travers cette exposition essaye-t-elle d’appréhender trois grandes périodes de l’Histoire de la Citadelle en process. Tout d’abord, cette ville qui plonge jusque dans la Mer, mais qui a été ensuite volée, –en partie– détruite et pour ce qui en restait, cachée et enfin, elle s’étonne du lieu paradoxal qu’est devenu cette forteresse aujourd’hui ; elle questionne ce lieu vivant qui pourtant se meurt et tombe en ruines.

La première salle de cette exposition est consacrée à « L’ordre déchiré », aussi découvre-t-on d’une part, une série de 15 photographies prises à la Casbah dévoilant tantôt des rues, des intérieurs, des terrasses et tantôt, des commerçants qui travaillent, des enfants qui jouent et autres scènes vie. D’autre part, on remarque un écran sur lequel défilent des mots choisis sur la dichotomie de ce monde, comme par exemple : blanc-noir, blanc ou noir, blanc et noir. Ces « antonymes » nous poussent à réfléchir sur un ordre préétablit et/ou naturellement rompu.

Dans la seconde salle, le visiteur devient spectateur et peut visionner une vidéo de 15mn sur différentes époques de la Citadelle. L’artiste veut ici montrer un passé lointain, celui des transformations de la basse Casbah opérées par la colonisation française et pour ce faire, elle emprunte des images d’archives françaises de l’INA (Institut National de l’Audiovisuel). Ensuite, elle évoque de façon très subtile un passé récent, celui de la «décennie noire» durant laquelle la Casbah a été le théâtre de nombreux évènements tragiques. Enfin, elle questionne le présent et surtout le futur, avec ce sentiment du mythe omniprésent bien réel, mais qui tend à s’effondrer, au sens propre et au sens figuré.

Pour donner vie et dynamisme à ces images, le poème « Si je te vole la mer », écrit par Ro Caminal et Cédric Chaabi, vient apporter une véritable âme à cette vidéo.
Ce poème en prose est conversation entre une femme étrangère (française) et un homme indigène (algérien) ; c’est les regards croisés de l’algérien et de l’autre, l’étrangère, exprimés à l’aide de mots poignants accompagnés d’une subtilité étonnante, générant toutes les ambigüités inhérentes aux relations amoureuses, passionnelles et déchirantes : « Sois toi-même et viens en ami

Sois moi-même et viens en égal

Sois nous deux et viens en amoureux

… Sois tous les autres et viens en philanthrope ».

Pour finir, la troisième salle est dédiée à l’installation artistique intitulée «Inventaire ». Il s’agit des ruines de la Casbah disposées pour dégager une symbolique très forte. Ces vestiges représentent les obstacles passés et présents qui empêchent d’aller vers le futur. Ces ruines sont également l’image de l’autre ; elles questionnent l’éthique, la moralité et les valeurs perdues de la société moderne. Ro nous explique : « Ces ruines sont emblématiques d’un regard porté sur « l’autre », cet autre toujours diminué. Hier l’algérien dans le regard du colon, aujourd’hui le réfugié africain dans le regard de l’algérien ou de l’italien. Un phénomène continuellement vécu par ces autres qui prennent et qui diminuent les autres, par ces autres qui viennent et les autres qui les diminuent ». Et d’ajouter: « Aujourd’hui avec les conflits et les crise en Afrique, en Amérique Latine et au Moyen Orient, le problème s’amplifie et les regards deviennent très durs et très cruels. Nous devons réagir et nous poser des questions pour notre futur ; pour les populations, mais aussi pour l’environnement. Nous sommes tous concernés!». Idée

« Inventaire »

Cette pensée qu’elle construit rejoint la phrase qui tourne en boucle dans un panneau lumineux et que l’on retrouve plusieurs fois dans le poème de la vidéo précédente : « Avec ma camera, je n’enregistre que les ruines qui nous réunissent vraiment ». Ces vestiges sont en réalité un patrimoine commun à la civilisation méditerranéenne et universelle, ils nous appartiennent à tous!

En définitif, cette exposition traite de l’altérité. Ce thème est significatif et récurrent dans les trois espaces et est présent de manière allégorique dans les photographies, les vidéos et l’installation et par cet extrait, il l’est de façon incontestable dans le poème : « Mes portes sont ouvertes à tous les pèlerins

Ville mystique, refuge des milles et un mythes

Contemple, mais ne vole rien

Admire, mais ne prend rien ».

Soraya DJOUADI

Erratum: 
Chers lecteurs, 

Nous nous excusons pour une erreur et une confusion qui s’est produite dans notre numéro 48. L’article Art intitulé « La Casbah d’Alger : visite guidée et regards croisés, par Ro Caminal » ne comptait pas les photos correspondantes. Cela a été corrigé et nous vous invitons à retrouver l’intégralité de l’article en consultant notre site internet : www.salama-mag.com. Notre rédaction présente ses excuses aux plasticiens Ro Caminal, Mona Bennamani, Mahmoud Agraine, au photographe Ahmed Ait Issad et à notre journaliste Soraya Djouadi.

Commentaires

commentaires