Hassina Hammache : ...

Hassina Hammache : Femme de cœur, femme battante « Tout dialogue en dehors de la transition concertée avec le peuple sera rejeté par la rue. »

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Hassina Hammache est une experte de la construction. Formée en ingénierie du bâtiment et spécialisée en mécanique des sols, elle a exercé en tant ingénieur dans un bureau d’étude chargé du suivi des travaux à la direction technique de l’entreprise hydrotechnique de Benaknoun, à Alger. Puis elle a travaillé au sein d’un organisme de contrôle technique. Elle a enseigné à l’USTHB (université des sciences et de la technologie Houari-Boumédiène) d’Alger et à l’institut de perfectionnement et de l’équipement pour les ingénieurs des directions des travaux publics et des directions des travaux hydrauliques. Elle a intégré des groupes de travail spécialisés afin d’élaborerdes documents techniques réglementaires. On la retrouve fréquemment en tant qu’invitée sur les plateaux de télévisions algériennes afin de débattre sur les questions de gestion au niveau local.

Ici à gauche, lorsque Hassina  Hammache était membre du comité exécutif de la fédération de l’enseignement de l’Union générale des travailleurs Algériens (UGT) de 1977 à 1987. (DR)

SALAMA : Vous avez été militante pendant 25 ans au Front des forces socialistes et vous avez occupé des postes importants, pouvez-vous nous faire un retour d’expérience en tant que femme pendant ces années ?

Hassina Hammache :J’ai été encouragé par mon père qui était un militant de l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien) et qui croyait que « la femme est la moitié de la société ». Effectivement j’ai milité depuis l’ouverture démocratique de manière officielle dans le parti du FFS. Élue au premier conseil de wilaya d’Alger en octobre 1990, puis nombre de fois secrétaire nationale aux droits de l’homme, secrétaire nationale au mouvement associatif, secrétaire nationale à la condition féminine puis directrice de l’école politique du FFS… j’ai présidé nombre de fois les conseils nationaux. Je commençais mon discours souvent par cette expression « tout en sachant que je suis femme et que je ne peux jurer en disant « djammaalimane », qui veut dire au nom de tous les saints, parce que dans notre culture cela est réservé à l’homme seulement de jurer ainsi et que je ne reviens jamais sur mes principes, etc. ».Être une femme, c’était un combat à mener. J’avais la fraîcheur, l’élan et l’enthousiasme. Je voulais participer au vrai débat de la cité avec de vrais acteurs. Je rêvais d’une société idéale où règnent la justice sociale et l’État de droit. Je participais à sa construction et l’esprit y’ait. Cela va bien avec mon domaine de compétence qu’est la construction.

SALAMA : Après tant d’années de militantisme, vous avez quitté ce parti subitement, pourquelles raisons ?

H-H : Je dirais simplement que je n’ai pas quitté subitement le parti, mais mon départ a été conditionné par trois éléments principaux. Dans les statuts du FFS c’est le président qui désigne le premier secrétaire, ce qui limite fortement le jeu démocratique à l’intérieur même du parti. Par exemple, les candidats ne sont pas élus par la base, surtout au plannational, mais c’est une commission qui est chargée d’étudier les candidatures. C’est ce qui a abouti à des assemblées non représentatives et à l’éternel problème de légitimité qui est resté posé (flèche de Zénon), soit l’immobilisme dans le processus de démocratisation. Pour anecdote, un député qui avait démissionné de l’Assemblée nationale m’avait raconté que des députés vendaient du maquillage à l’intérieur de l’hémicycle. Alors que les préoccupations des citoyens dépassaient de loin le bâton de rouge. On voit bien aujourd’hui la maturité politique du « Hirak » bien que moi je préfère l’appellation de révolution du sourire. Ensuite la maladie de feu Aït Ahmed depuis 1999, a créé progressivement un vide dans la haute direction, investi petit à petit par des imposteurs, manipulés par le pouvoir. Les résolutions ne sont plus celles des militants. Elles proviennent d’ailleurs, nous n’avons qu’à reprendre les résolutions du parti et surtout depuis la fin du 2e mandat de Bouteflika, le pari a perdu sa substantifique moelle, c’est-à-dire l’essence même du parti : la réhabilitation du politique dans la société. Enfin, le dernier élément qui m’a poussée à partir est que le pouvoir a fini par apprivoiser et mercantiliser le parti jusqu’à s’imposer complètement dans les investitures. Effectivement la liste des candidats est confectionnéeailleurs. Tous les anciens militants qui avaient un discours radical et qui pouvaient être des éléments fédérateurs au sein même des institutions élues étaient exclus de fait des listes. Le pouvoir voulait une Assemblée taillée à sa juste mesure et le parti a marché dans cette combine par respect du principe de quota des candidates, qui n’a d’ailleurs jamais été entièrement respecté sur la liste, selon la loi, à savoir homme-femme-homme. 

SALAMA :Que pensez-vous de la situation actuelle de l’Algérie ? Comment on peut sortir de cette crise politique selon vous ?

H-H :Je pense que le pouvoir a poussé trop loin le bouchon en maintenant un cinquième mandat, entraînant la division au sein même du sérail. Ce qui a fragilisé ses capacités à contenir la révolte populaire dès le début, ce qui a donné lieu à cet « Hirak » tant espéré par le peuple. Il n’y a pas d’autres issues que la transition conduite par un comité des sages.Tout dialogue en dehors de la transition concertée avec le peuple sera rejeté par la rue. La répression me paraît improbable tant que le peuple restera uni (djaichchaabkhawakhawa).

SALAMA : En dehors des partis islamiques,comment expliquez-vous que depuis quelques années les partis politiques n’aient pas d’encrage dans la société algérienne ?

H-H :Aucun parti politique n’a d’assise populaire y compris les islamistes. Tous les partis politiques actuellement agréés ont été créés par le pouvoir sauf le FFS, qui, lui a été progressivement domestiqué. C’est ce qui rebute les citoyens à adhérer. Ajouté à cela, la fraude électorale,« le sport national », comme aimentà l’appeler les opposants… donc les citoyens ont préféré s’éloigner de la chose politique et c’est ce que cherchait le pouvoir, sachant que le principe de quota au sein des partis est réservé à la famille et amis. Donc pas d’assise démocratique de la représentation.  

Et d’ailleurs le citoyen ne se sentait même concerné par les élections…

Pendant les manifestations d’Alger. HassinaHammache préfère parler de « Révolution sourire ». (DR)

SALAMA : Quel est votre sentiment sur les partis d’oppositions, ont-ils vraiment joué leur rôle ?

H-H : Des partis d’opposition n’ont existé que pendant la période 88/92, après 1992 c’est la décennie noire,beaucoup de militants ont quitté l’activité politique de peur d’être assassiné, tout comme nous avons assisté au départ en masse des intellectuels à l’étranger. La société civile a été affectée dans son intégrité physique et mentale, elle a subi la violence, l’arbitraire le mépris et l’impunité. Pour mon activité politique, il m’était difficile de convaincre ma famille pour les déplacements que j’entreprenais avec mes camarades à l’intérieur du pays (Djamel Bensabaa, SaidKhellil, SaidHamdani, Halet Rachid, SeddikDebaili, Kamel Daoud, Ahmed Djedai, Anissa Bouhadef et MusraphaBouhadef….). C’était très difficile et les partis n’ont pas pu du tout joué leur rôle. Rappelons-nous la fameuse sortie de feu Aït Ahmed « il ne nous reste plus que l’autodissolution ».Après la décennie noire vient l’ère de Bouteflika. Il yavait l’embellie financière, avec cet argent, le pays est rentré dans l’ère de la corruption. Tout étant question d’argent, on achetait même des places de députation. Les partis politiques ont joué le jeu de la démobilisation et la démoralisation de la société. Aujourd’hui on se bat dans une situation de déconfiture. Dans son dernier discours le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Slimane Barhimi a soutenu que la corruption a sapé les fondements de l’État national, provoquant du coup une perte de confiance entre les citoyens et les instituions de ce même État.De ce fait, les citoyens n’ont plus confiance dans les partis politiques qui ont trahi le peuple. Les citoyens les refusent de manière catégorique. 

SALAMA : Depuis le « Hirak », ces partis d’opposition essaient de se faire une place et de retrouver une légitimité. Ils sont rejetés en bloc. Comment expliquer cela ?

H-H :Comme je l’ai dit, les partis politiques n’ont plus de légitimité. Ils ont porté un grand coup de trahison envers les citoyens.Ils se sont placés en porte-à-faux de la société. Quel est le député qui ouvre une permanence dans sa circonscription et y reçoit les citoyens ? Quel député ne sort pas de la bibliothèque de l’Assemblée ? Cette institution j’ai eu à l’expertiser dans le cadre de mon travail professionnel. Les partis ont accepté le principe de quota dans les assemblées, ils ont passé leur temps à y régler leurs problèmes personnels et ceux de leurs proches. En contre parti ils ont perdu leur légitimité. Ils ont choisi le clan du pouvoir, de ne pas faire de politique de façon sincère et véritable. Ceux qui actuellement essaient de se faire une place sont rejetés en bloc. Le peuple dit « dégage ». Et que Dieu prête vie à ceux qui luttent en ce moment contre la corruption et la mise en place d’un État de droit.

SALAMA :En tant que femme quepensez-vous de l’incarcération de Louisa Hanoune… N’a-t-elle pas joué avec le feu ? 

H-H :En tant que femme j’ai eu de la peine pour elle. Par contre pour une militante démocrate, je lui reproche d’être à la tête de son parti depuis plus de 20 ans et d’être députée à l’Assemblée nationale depuis 1997. Pour une démocrate pas d’alternance. En plus il semblerait qu’elle recevait dans l’ombre, des recommandations de certaines personnes du pouvoir. Maintenant elle a fini par être piégée, la question reste posée : to be or not to be ?

Propos recueillis par HassinaH.Sahraoui

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