« La grandeur est parfois un homme qui se tait, mais dont les actes parlent encore. »
— Albert Camus
Par Nabil Khalfaoui
Il est des hommes dont la disparition laisse un vide plus grand que celui de l’absence. Des êtres rares dont la présence ne se résumait pas à leur silhouette, mais à la résonance de leurs actes, à la justesse de leur parole, à la force tranquille avec laquelle ils ont traversé la vie. Abdehahmane Mekhlef était de ceux-là. Aujourd’hui, nous nous tenons au seuil de sa dernière demeure. Un seuil, non pas comme une fin, mais comme une passerelle. Car certains départs sont moins des adieux que des transmissions. Le silence qui enveloppe désormais son nom n’est pas une extinction, c’est un passage, une invitation à écouter autrement. Plus profondément. Il n’a pas seulement vécu : il a marqué. Gravé. Sculpté son temps avec une fidélité à ses valeurs que peu osent encore porter.Les échos de sa vie résonnent avec puissance dans les témoignages recueillis ce jour-là, au cœur d’une foule immense, venue saluer une dernière fois celui qui fut à la fois père, époux, collègue, ami — mais aussi repère. Dans le cortège du souvenir, on lisait la gratitude muette des générations qu’il a inspirées, la douleur digne des proches, mais aussi une sorte d’admiration presque sacrée. Car Abdehahmane Mekhlef, sans jamais rechercher la lumière, fut un homme d’éclat.Journaliste engagé, il maniait la plume comme d’autres l’épée : avec honneur, précision, et sans jamais renoncer à la vérité. Il ne courbait pas l’échine devant les puissants, il ne travestissait pas les faits pour plaire, il écrivait pour libérer. Pour éveiller. Pour construire. Chaque article, chaque prise de parole, chaque action portait la marque d’un engagement absolu : celui de défendre la liberté, la dignité humaine et le droit de comprendre le monde avec lucidité. Il était un bâtisseur de conscience.Mais derrière le professionnel intransigeant se tenait l’homme : humble et fidèle, époux aimant, père présent, ami sincère. On raconte qu’il savait transformer le métal ordinaire du quotidien en or humain, simplement par la rigueur de son éthique et la noblesse de ses gestes. Sa vie n’était pas bruyante, mais elle fut forte. Sa parole n’était pas grandiloquente, mais elle portait loin. Il était de ceux qui, même dans l’ombre, tracent des sillons durables dans l’histoire collective.Et aujourd’hui, alors que les vivants pleurent et que les pierres s’apprêtent à porter son nom, son œuvre, elle, ne meurt pas. Elle commence un autre chemin, plus vaste encore : celui de la mémoire active. Car le plus bel hommage que nous puissions lui rendre n’est pas dans les fleurs ou les discours, mais dans l’effort fidèle de prolonger ce qu’il a semé. Dans la volonté de marcher, à notre tour, droit et libre sur la route qu’il a ouverte. Abdehahmane Mekhlef était un Spartiate des temps modernes. Un guerrier du verbe, un soldat de la vérité, un homme debout dans un monde qui, trop souvent, se couche. Et s’il s’en va aujourd’hui, c’est sans jamais avoir plié. Il nous lègue une direction, une exigence, un souffle.Qu’il repose en paix, et que son nom soit porté haut, non pas seulement dans la pierre, mais dans les cœurs et les actes de ceux qui auront l’audace de continuer ce qu’il a commencé.
N. K