8 mai : deux mémoires, deux réalités

8 mai : deux mémoires, deux réalités

213

Le 8 mai. Une date lourde de sens, qui résonne différemment des deux côtés de la Méditerranée. Tandis qu’un pays célèbre la liberté retrouvée et la défaite du nazisme, l’autre se souvient d’un massacre, d’un drame national : celui du 8 mai 1945, où la France coloniale a réprimé dans le sang les manifestations à Sétif, Guelma et Kherrata. Près de 45 000 Algériens furent tués selon les estimations, dans ce qui demeure l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire coloniale française.Ce qui avait commencé comme une manifestation pacifique pour les droits et la liberté s’est transformé en tragédie sanglante. À peine la Seconde Guerre mondiale achevée, au moment même où la France célébrait la victoire contre le totalitarisme, elle réprimait avec violence un peuple qui osait revendiquer sa dignité. Comment pouvait-on lutter contre l’oppression nazie au nom de la liberté, tout en la niant à d’autres ? Comment défendre les droits de l’homme en Europe, tout en les piétinant en Afrique du Nord ?Les Algériens, qui avaient pourtant largement contribué à l’effort de guerre aux côtés des Alliés, pensaient que l’heure était venue d’appliquer le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils espéraient une reconnaissance, un dialogue, mais la réponse fut une répression brutale, fruit d’une domination coloniale aveugle.Des décennies ont passé. Quelques gestes vers l’apaisement ont été esquissés, mais la réconciliation demeure inachevée. Le 19 avril 2015, pour la première fois depuis l’indépendance, un représentant du gouvernement français — Jean-Marc Todeschini, alors secrétaire d’État aux Anciens Combattants — a participé aux commémorations à Sétif. Ce jour-là, il s’est incliné devant le mausolée en hommage à Saal Bouzid, première victime du 8 mai 1945. Aucun discours officiel n’a été prononcé, mais une phrase inscrite dans le livre d’or du musée a marqué les esprits : « En me rendant à Sétif, je dis la reconnaissance par la France des souffrances endurées et rends hommage aux victimes algériennes. » Il appelait alors Français et Algériens, « au nom de la mémoire partagée par nos deux pays, à continuer d’avancer ensemble vers ce qui les réunit. »Aujourd’hui, ce fragile rééquilibrage semble s’être interrompu. Nous assistons même à une régression inquiétante. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, multiplie les déclarations hostiles sur l’Algérie et les Algériens, dans une rhétorique qui semble puiser dans la nostalgie de l’Algérie française. Il surfe sur un terrain idéologique proche de celui de l’extrême droite, dans une instrumentalisation dangereuse de la mémoire.Le processus amorcé sous François Hollande, bien que timide, s’essouffle. Les avancées sont restées symboliques, et les blessures, elles, demeurent béantes.Emmanuel Macron, lors de sa visite à Alger en novembre 2016, avait adopté un ton plus direct. Il reconnaissait que la colonisation avait engendré la torture et déclarait : « C’est un crime contre l’humanité. C’est une vraie barbarie. » Il ajoutait : « La France a installé les droits de l’homme en Algérie. Simplement, elle a oublié de les lire. » Ces paroles fortes ont déclenché un tollé en France. En pleine campagne présidentielle, acculé par des anciens de l’OAS dans le sud du pays, il est revenu sur ses propos, allant jusqu’à présenter des excuses à ceux qui défendaient la colonisation. Ce revirement en dit long : la France officielle n’est pas encore prête à assumer pleinement ses crimes coloniaux.La mémoire reste fracturée, la reconnaissance incomplète. Alors, s’agit-il d’une utopie ou d’une prise de conscience en marche ? L’avenir le dira. Mais en attendant, souvenons-nous. Car la mémoire est un devoir, et la vérité — aussi dérangeante soit-elle — reste un passage obligé vers une réconciliation sincère.

H. H. S

Commentaires

commentaires