Rapatriement en Algérie du canon Baba Merzoug

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    Le 1er novembre 2020 après 190 ans de captivité en France (1830-2020)

    En vue de la libération prochaine et du rapatriement de Baba Merzoug, captif depuis 190 ans en France dont 187 ans à Brest, nous avons, suite à un sondage, l’honneur de soumettre aux autorités nationales, locales, aux organismes et associations du patrimoine et de la mémoire nationale, notre souhait de projet d’aménagement du site d’érection du canon Baba Merzoug à la Place des Martyrs à Alger, sur l’emplacement de l’ex statue équestre d’Henri d’Orléans duc d’Aumale qui a été remise par l’Algérie à la France en 1963.

    LETTRE DE BABA MERZOUG A SES ENFANTS

    Brest, le 1er septembre 2020

    Je vous salue et vous raconte mon histoire et celle de MadinaDzaïr :  

    Je suis né en 1542 à Dar Nhass, la fabrique d’armes, installée près de la porte de Bab El Oued, de mon père Sébastiano Cornova, originaire de Venise et de ma mère El Jazaïr, mariés par Kheireddine Barberousse, Sultan d’Alger, grand héros de la Marine Algérienne, qui a chassé les espagnols en 1529, détruit leur forteresse (Penon), construit le port d’Alger et fondateur de l’Etat Algérien dans ses frontières Est et Ouest actuelles.

    Grâce au génie de mon père, je suis le plus grand canon, car je mesure 6,25 mètres de long et je tirais les obus sur 4.872 mètres.

    En 1560, âgé de 18 ans, j’ai épousé la belle MadinaDzaïr (appelée improprement Casbah par les français du nom du Ksar-palais du Dey) et me suis installé sur le môle Kheireddine Barberousse, pour être à l’avant-garde de la défense de ma belle bien aimée convoitée par les Sultans de l’Europe.Avec mes frères canons plus petits mais tout aussi redoutables, nous défendions si bien MadinaDzaïr qu’elle a pris le nom d’El Mahroussa, la bien gardée.

    Tellement bien protégée que les habitants m’ont honoré en me donnant par affection le nom de Baba Merzoug qui veut dire à la fois : « Le béni, bienfaiteur et porte bonheur » car je tirais juste et loin, empêchant tout bateau ennemi d’approcher de ma belle bien aimée MadinaDzaïr.

    L’inviolabilité par sa baie, pendant des siècles a endormi le Dey Hussein et son armée, malgré les menaces depuis le 14 juin 1827 et le plan d’invasion du commandant-espion Boutin, commandé par Napoléon en 1808 et les menaces depuis 1827. La pénétration par la plage ouest de Sidi Fraj (Sidi Ferruch) des 37.000 Français, le 14 juin 1830 à l’aube et l’occupation d’Alger, le 5 juillet 1830 à 10 heures, ont été facilitées par l’inconscience du Dey et de son armée, qui n’ont pas su protéger leurs arrières.

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    C’était le jour le plus triste de ma vie : retraité et désarmé, sous une voûte de l’Amirauté, je ne pouvais plus défendre ma maison, ma femme et mes enfants.

    Ma grande réputation a fait que l’amiral Duperré, commandant la flotte d’invasion (675 navires), a décidé de me déporter en France comme trophée de guerre et de me donner un surnom féminin La Consulaire pour humilier le viril combattant que j’étais.

    Prisonnier sous le numéro 221, j’ai été embarqué le 6 août 1830 à bord du bateau La Marie Louise, commandé par le capitaine Caspench. Dans la lettre adressée à son Ministre de la Marine, l’Amiral Duperré avait écrit : « C’est la part de prise à laquelle l’armée attache le plus grand prix ».

    Après 3 ans de captivité à Toulon, on m’a transféré le 27 juillet 1833 à Brest.

    Pour me torturer, on m’a érigé en colonne dans la cour de l’arsenal du port de Brest, face à l’Océan Atlantique, entouré de barreaux et suprême humiliation, on m’a mis un Serdouk (coq symbole de la France) sur ma bouche, cette bouche de feu qui a craché des milliers d’obus contre les flottes ennemies.

    En 1919, j’étais heureux d’apprendre que mon retour à la Maison Algérie, avait été exigé par des Français Henri Klein et l’Amiral Cros, du Comité du Vieil Alger, association de défense du patrimoine de l’Algérie.

    De 1940 à 1945, les Allemands qui occupaient la France, venaient m’admirer car eux aussi avaient pendant la 1ère guerre mondiale, un canon géant surnommé La Grosse Bertha.

    Pourquoi ce surnom féminin pour des canons symboles de virilité ?

    Au début, j’étais content de voir mes geôliers, colonisés et humiliés à leur tour mais j’ai vite compris que les nazis sont des fascistes qui oppriment le peuple de France et je pensais naïvement qu’une fois la France libérée, elle nous accordera à notre tour, la liberté.

    Pendant l’occupation Allemande, les gens de Brest, me considérant Marabout, car venant d’Afrique, venaient solliciter ma Baraka, mes prières et mes incantations pour la liberté de la France et qui me disaient-ils, me rendra ma liberté.

    Ils étaient tellement de bonne foi et sincères que j’y croyais et je priais pour nos libertés.

    Lors du débarquement américain et anglais en Afrique du nord le 8 novembre 1942, suivi du débarquement sur les plages Françaises le 6 juin 1944, j’étais heureux pour la libération du peuple de France et à l’idée de notre proche liberté.

    Rage et désespoir, quand j’ai appris les massacres du 8 mai 1945 et ses milliers de morts en Algérie, au moment où le peuple de France fêtait sa libération.

    Et pourtant, les Américains avaient promis de libérer les pays d’Afrique du nord qui étaient sous le régime pro-nazi de Vichy, promesse écrite du Président Roosevelt et du Général Eisenhower !

    (Tract bilingue Arabe / Français de l’Opération Torch / Débarquement Afrique du nord 1942).

    Désillusion et incompréhension ont meublé ma triste solitude en cette année 1945. J’étais à la fois content de voir les Français fêtaient leur libération et jaloux de leur bonheur car je ne comprenais pas cette discrimination. Et c’est avec le Plan Marshal Américain et les armes Américaines que le colonialisme Français a pu mener les guerres d’Indochine (1946-1954) et d’Algérie (1954-1962).

    Il a fallu le déclenchement de la guerre de libération du 1er novembre 1954, pour qu’enfin je sente le début de la fin du colonialisme.

    Le 3 juillet 1962, après 132 ans de captivité, l’Algérie est libre et indépendante.

    Je savourais notre victoire et je me disais : enfin je vais rentrer à la Maison Algérie.

    Grande désillusion, mes enfants devenus adultes, ivres de liberté et insouciants, m’ont oublié loin de la maison, moi leur grand-père qui a toujours veillé sur eux !  

    Déprimé et malheureux, je pleurais en entendant Cheikh El Ankachanter: « Lehmam li rabitoumchaaâlia » (Les pigeons « les enfants » que j’ai élevés, m’ont quitté).

    L’espoir d’une liberté prochaine est vite revenu, soutenu en cela, par Cheikh Dahmane El Harrachi qui m’a toujours bercé d’espoir avec sa chanson : « Ya rayahtrouhtayawatouali » (Tôt ou tard, tu reviendras).

    Captif depuis 190 ans, je subis depuis 187 ans à Brest, un véritable supplice, face à l’Océan Atlantique et aux rudes hivers qui ont altéré ma santé.

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    Je suis triste aussi, de voir les Harraga, ensorcelés par la sirène Europa, quitter au péril de leur vie, leur pays dans de frêles embarcations, alors que de notre temps le terme Harraga qui vient de Harraqâ (brûleur) désignait un vaisseau de guerre, appelé ainsi car il brûlait les bateaux ennemis (Moulay Belhamissi- La Marine Algérienne).  

    Au couple Algérie / France, mariés de force le 5 juillet 1830, couple infernal de 132 hivers de tempêtes et 132 étés de sirocco, divorcés officiellement le 3 juillet 1962, mais condamnés à vivre ensemble, je leur dis :

    « 58 ans après, voici venu, le temps de la réconciliation, dans l’intérêt de tous ».

    Je suis le plus ancien déporté Algérien et je n’ai jamais compris pourquoi la France a tardé à me rendre ma liberté, malgré l’accueil chaleureux en Algérie des Présidents Giscard D’Estaing, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron qui a compris l’intérêt politique de la France de restituer leur patrimoine aux pays d’Afrique. Ainsi la restitution le 5 juillet 2020 des crânes des martyrs Algériens du 19ème siècle, a été un geste fort, geste qui m’a redonné espoir quant à ma prochaine libération et j’ai fait un rêve prémonitoire : ça sera le 1er novembre 2020.

    Vieillard, je me sens si seul. Je veux rentrer chez moi à la Maison Algérie, je veux sentir la chaleur familiale qui me manque depuis 190 ans ; j’ai rêvé qu’au plus tard le 1er novembre 2020, je retournerai chez moi à la maison, par mer comme je suis parti, accompagné par notre Marine Nationale, digne héritière de notre glorieuse Marine Algérienne.

    A cette occasion, je conseille à notre Marine Nationale de créer le grade d’ « Amiral » (Amir El Bahar), terme d’origine Arabe devenu universel, grade en usage dans toutes les marines du monde.

    Je me vois arriver dans ma bien aimée baie d’Alger, sous les coups de canons et les sirènes des bateaux, entrer dans le port, saluer à ma droite le môle Kheireddine Barberousse où j’ai effectué mon service militaire et essayant de distinguer ma belle MadinaDzaïr, qui m’attend depuis le 3 juillet 1962.

    Ancien combattant, je me vois arriver chez moi, entouré de marins vêtus de blanc et de soldats en grande tenue, avec la fanfare de la garde royale…pardon, je me trompe d’époque, garde républicaine.

    Tabla et Zorna  (instruments traditionnels de musique) seront de la fête.

    Je me vois arriver chez moi, accueilli en héros national par des milliers d’enfants, agitant des drapeaux et scandant « Yahia Baba Merzoug » (Vive Baba Merzoug).

    Je me vois arriver chez moi, accueilli par les youyous des Algériennes, gardiennes de notre culture et de nos traditions, descendantes des Dziryettes (Algéroises) qui ont chanté ma virilité et ma protection.

    Je me vois arriver chez moi, accueilli par les Algériens, amoureux de leur patrie.

    Pour mon premier dîner de Liberté, ma bien aimée MadinaDzaïr m’a promis un couscous royal au mouton, merguez et…Serdouk (coq)…Le soir venu, sur le môle Kheireddine Barberousse, spectacle son et lumière.

    Les feux d’artifice illumineront le ciel et me rappelleront les batailles dans la baie et les fêtes de victoire.

    Cette fête, je la souhaite fête de l’amitié, de la paix et de la concorde, entre le peuple d’Algérie et le peuple de France, avec des historiens et amis des deux rives de notre Mer (mère) Méditerranée.

    Une fois à la Maison Algérie, faites-moi la promesse de ne pas m’enfermer dans une prison-musée car je souhaite respirer l’air de la Liberté et de la Mer Méditerranée, m’allonger à l’horizontale pour me reposer des 187 ans de position verticale à Brest, sans grille pour sentir les caresses des milliers de visiteurs qui viendront me rendre hommage et solliciter ma Baraka, face à la mer sur les hauteurs, dominant la baie d’Alger et à côté de Makam Chahid, le Grand héros de la Libération nationale qui veillera sur moi.

    L’amitié est à portée de canon, libérez moi le 1er novembre 2020, chargez moi de message d’amitié, je serai l’émissaire de la paix.

    A bientôt

    Port de Brest, le 1er septembre 20

    Baba Merzoug

    Message recueilli par télépathie et transcrit par Smaïl Boulbina, scribe de Baba Merzoug, co-fondateur du Comité national pour la restitution de Baba Merzoug, présidé par Maître Fatima Benbraham.

    Le comité rend hommage à feu Belkacem Babaci, qui a lutté pour le retour de Baba Merzoug en Algérie.

    Les données historiques sont authentiques, puisées dans la riche bibliographie de feu Moulay Belhamissi.

    Historien, auteur d’une thèse sur la Marine Algérienne et 1er contemporain à médiatiser Baba Merzoug.

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    NOTES HISTORIQUES

    Lettre de l’amiral Duperré, commandant la flotte d’invasion :

    « Baie d’Alger, à bord du vaisseau l’Alger*, le 6 août 1830,

    A Son Excellence, le Ministre de la Marine et des Colonies,

    Monseigneur,

    J’ai fait charger et j’expédie sur Toulon, par le transport La Marie Louise, Capitaine Caspench, n°221,

    la pièce en bronze dite La Consulaire, provenant des batteries de la Marine d’Alger, contre lesquelles l’armée sous mon commandement a combattu.

    C’est celle dans laquelle ou à la volée de laquelle fut placé le Consul de France, le père Le Vacher, lors du bombardement exécuté par Duquesne en 1683.

    Comme amiral commandant l’armée navale, j’ose réclamer en son nom, et pour la marine, ce trophée de la marine française. Comme préfet maritime de Brest, j’oserai demander de plus que le don en soit fait à ce port, dont les armements ont une si grande part à la campagne d’Alger.

    Daignez, Monseigneur, ajouter encore au sentiment de reconnaissance que conservera la marine en soumettant au Roi cette nouvelle demande, dont le succès sera pour elle un honorable témoignage de la satisfaction de Sa Majesté : c’est la part de prise à laquelle l’armée attache le plus grand prix ».

    A son tour, le Ministre de la Marine adressa au Roi, le 4 octobre 1830, un rapport sur la question et dans lequel il disait : « J’ai cru devoir accéder au désir exprimé par cet amiral et j’ai prescrit d’envoyer à Brest la pièce dite La Consulaire ».

    * Le navire amiral La Provence, a été rebaptisé Alger le 14 juillet 1830.

    Texte de l’inscription que présente le piédestal sur lequel repose Baba Merzoug à Brest.

    LA CONSULAIRE
    Prise à Alger, le 5 juillet 1830
    Jour de la conquête de cette ville
    Par les armées françaises,
    Le Baron Duperré commandant l’escadre.
    Erigée le 27 juillet : 1833
    S. M. Louis-Philippe régnant.
    Le V. A. Comte de Rigny, ministre de la Marine.
    Le V. A. Bergeret, préfet maritime.

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