Mieux comprendre l’histoire de l’Emir Abdelkader

Mieux comprendre l’histoire de l’Emir Abdelkader

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Propos recueillis par Hassina Hadj Sahraoui

Interview avec Sadek Sellam

L’émir Abdelkader est omniprésent dans l’histoire militaire. Avec des moyens limités, il a pu infliger à une grande armée moderne deux cuisants désastres, à la Macta et à Sidi Brahim, qu’on enseigne dans les académies militaires. Les chercheurs qui étudient ses livres cherchent à combler les lacunes de l’Islamologie universitaire qui a trop longtemps ignoré ses pénétrantes méditations coraniques que résume son Kitab al Mawaqif qui est classable parmi les œuvres majeures d’Ethique (Adab akhlaqi) et de Soufisme.Si cela était connu du grand public, on n’aurait pas eu les présentes et inutiles controverses provoquées par des polémistes qui gagneraient à s’informer avant de mêler le nom de cet grand homme a des règlements de comptes de bas étage. A ce sujet SALAMA s’est entretenu avec Sadek Sellam, un historien de l’Islam contemporain franco-algérien, il fait partie des rares auteurs dont les musulmans francophones devraient lire, relire, s’imprégner et comprendre.

SALAMA : Ce chef religieux et militaire algérien, qui mena une lutte contre la conquête de l’Algérie par la France au milieu du xixe siècle. Apparemment très méconnu par la jeune génération en Algérie et en France. Pourriez-vous nous dire qui est réellement l’Emir Abdelkader ?

S.S L’émir Abdelkader est peut-être le, seul à avoir eu rayonnement mondial après avoir cessé le combat et quitté la scène politique.
Durant son séjour de 5 ans en France, entre 1847 et 1852, il était réduit à un rôle de témoignage, conforme aux prescriptions coraniques : « li takounou chouhada ‘ala annass »(afin que vous soyiez témoins pour autrui).
Cela lui permit de rappeler aux Français l’importance de la parole donnée, violée une fois de plus à son arrivée à Toulon ou il devait transiter pour se rendre en Orient. Mais il apprit qu’il était prisonnier, contrairement aux engagements du duc d’Aumale, ratifiés par Louis-Philippe.
A Amboise il organisé la vie de l’importante communauté qui l’accompagnait (120 personnes à l’arrivée à Toulon) selon le modèle de la zaouia qadirya paternel d’el Guetna.
Il assurait lui-même un cours en commentant le traite de Tawhid du cheikh Senoussi (théologien algérien du XIV° siècle). Il entretenait des relations régulières avec les officiers arabisants, les châtelains du voisinage, et des membres du clergé catholique (Mgr Duputch, le curé arabisant d’Amboise,). Durant ces 5 ans de captivité, la maçonnerie l’a superbement ignoré. Cela mérite d’être rappelé à ceux qui cherchent à exagérer l’importance des échanges qu’il a eus avec les Loges écossaises d’Alexandrie qui s’intéressèrent à lui quand le sauvetage par lui de 12000 chrétiens de Damas du massacre lui valut les hommages des grands de ce monde, du Pape au Tsar de Russie en passant par le président des États-Unis.
De nos jours des historiens idéologues cherchent utiliser le prestige de l’émir pour essayer d’attirer les jeunes musulmans de France vers les Loges. Comme d’autres cherchent, en profitant des déficits éducatifs musulmans en France à les faire adhérer à d’autres familles spirituelles, ou à en faire une force d’appoint électoral. L’émir mérite mieux que ces prosaïques calculs dont les intéressés découvriront la vanité.

La statue du combattant de L’émir Abdelkader à Alger

SALAMA : Vous êtes aussi enseignant en France, vous ne croyez pas qu’on devrait inclure dans les manuels scolaires le sujet sur l’Emir Abdelkader et enseigner mieux son histoire aux jeunes en France et en Algérie ?

Les manuels scolaires méritent d’avoir de meilleurs contenus sur tout ce qui touche à l’histoire coloniale.
Les préconisations du rapport Stora tendent à remédier à ces insuffisances. Concernant l’émir, il a proposé d’ériger une stèle à Amboise, où le duc d’Aumale a cherché à supprimer toutes ses traces, s’il n’y avait pas eu les 25 tombes dans le jardin du château. Leur prétendue restauration à servi de prétexte à quelques transactions éloignées de l’esprit dans lequel la mémoire de ce grand homme doit être célébrée.

SALAMA : Suite à l’interview récente de Amirouche Aït Hamouda sur un plateau d’une chaine privée Algérienne (El Hayet TV), celui a tenu des propos concernant l’Emir Abdelkader très virulents même insultants, comme vous êtes un fervent de l’émir Abdelkader, quel a été votre sentiment là-dessus ?

S.S C’est le genre de polémiques qui ajoutent des confusions aux difficultés nées du retard des études historiques. Vous avez remarqué que les historiens algériens-il y en a de très compétents- s’abstiennent de tout commentaire dans ces agitations. Je devrais faire comme eux. Mais puisque vous m’interrogez, je me permets seulement de recommander aux polémistes de s’informer, de s’instruire avant de proférer des accusations souvent gratuites.

SALAMA : Actuellement L’Algérie vit une période de crise politique, économique etc.  D’après vous pourquoi cette chaîne de télévision (El Hayet) a choisi précisément ce moment pour donner autant d’importance à cette interview de Amirouche Aït Hamouda ? Croyez-vous que ce soit fait volontairement ? 

Je ne sais pas. Une réponse à cette question supposerait une bonne connaissance des stratégies médiatiques, dans leurs connexions avec les controverses politiques. Je n’ai ni le désir, ni les compétences de déchiffrer les arrière-pensées dans ces domaines.
Mais on peut supposer les adversaires du courant politique qui se réclame de la Badissya-Novembria réagissent par esprit de contradiction. Leurs passions les conduisent à semer le trouble en déformant l’image des grandes figures situées en amont, comme c’est le cas de l’émir Abdelkader.
Aussi bien ces polémistes en Algérie que ceux qui, en France, exagèrent l’importance de ses échanges épistolaires avec la maçonnerie, devraient méditer l’information, ignorée, ou censurée, mais absolument sûre, concernant l’adhésion de l’émir et ses enfants à l’association el ‘Oroua el Outhqa fondée par Afghani et Abdou à Paris, quelques mois avant sa mort.
Dans sa lettre de condoléances, le cheikh Abdou rend hommage à celui qu’il nomme l’imam du « Salaf al djadid »(néo-Salafiste). Etant entendu que cette appellation n’a absolument rien avoir avec les terminologies empruntées par les médias aux islamo-politistes qui servent plus les politiques sécuritaires que l’islamologie, ou même la science politique digne de ce nom.
Cela mérite d’être médité aussi par ceux qui cherchent à opposer à tout prix le soufisme à l’Islah (Mouvement réformateur, et non réformiste).

Pour rappel

Sadek Sellam a publié récemment :
Ahmed Boumendjel (1908-1982) : de la conquête morale coloniale à la reconquête de la souveraineté nationale. Maisonneuve-Larose. Paris


 


 

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