Lionel d’Arabie, la biographie d’une Algérie perdue

Lionel d’Arabie, la biographie d’une Algérie perdue

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« Lionel d'Arabie » de Daniel Saint-Hamont. Orients éditions

Comment expliquer Daniel Saint-Hamont : ses livres, ses films, son nom et sa relation passionnelle avec l’Algérie ? Au premier abord, on le croirait pied-noir et, de bien des manières, il l’est : né en 1944 à Mascara dans l’Algérie coloniale, il a dû s’arracher à sa terre natale avec sa famille toute entière et son identité française, au lendemain de la guerre d’indépendance d’Algérie. Mais le fait est que, avant d’être un Saint, Daniel était un Hadj.

Pour comprendre la suite d’évènements rocambolesques qui a guidé cette étrange traduction, il faut connaître l’Algérie de Daniel Hadj-Hamou. Celle qui était française, juive, musulmane et chrétienne, et toute aussi brillante de vie que d’iniquité. Mais surtout, celle de son père, algérien musulman issu d’une famille de notables que les colons qualifieront dans un amalgame suffisant de « famille de grandes tentes ». Habituée des envahisseurs, cette autorité de la ville de Miliana n’est pas plus impressionnée par l’arrivée des français en 1830 que par tout ceux qui, avant eux, ont dû céder inéluctablement à l’ascendant moral et religieux de ces clans familiaux sur le peuple indigène. C’est ainsi que, tandis que les populations issues du « melting pot » de l’Empire Ottoman agonisant se voient doter de statuts uniques selon leur hérédité, les Hadj-Hamou font fi des limitations imposées au peuple arabe musulman. Car si les autochtones d’origine espagnole, maltaise, sicilienne ou italienne se voient attribuer la citoyenneté française, les algériens musulmans en sont délibérément privés.

Fils de cette famille qui fait exception, le père de Daniel Saint-Hamont vit sa jeunesse dans une Algérie française d’entre-deux-guerre. Les trente glorieuses brillent pour lui, avant qu’il ne s’engage dans le prestigieux Régiment de Tirailleurs Algériens. Pour ne pas déroger à l’extraordinaire de sa généalogie, il devient l’un des quelques officiers « français musulman » et épouse Yvette, chrétienne et fille de métropolitains. La soeur de cette dernière, Andréa, amoureuse sans égard pour les moeurs tout comme sa cadette, se marie à Albert, d’une famille juive de Mascara.

L’oeuvre de Daniel Saint-Hamont, tout comme son nom, aurait pu être tout autre. Si le quatuor que forment son père, l’algérien musulman, sa mère et sa tante, les chrétiennes émancipées et son oncle, le juif extraverti, est le fondement de la construction de ses protagonistes, l’image gardée de l’Algérie quittée avant sa guerre d’indépendance forme le décor de son imaginaire. Car le patriarche, qui était Hamyd avant d’être Lionel, fort de l’expérience des combats de la seconde guerre mondiale et rentré du conflit en Indochine blessé, est promptement exilé en Allemagne à son retour en 1954. La France, peu encline à la perte d’un officier d’expérience au camp adverse que forme soudain le peuple algérien, lui interdit le retour et lui dérobe le choix de son identité. En 1962, il n’y a plus d’Algérie française, et pour Daniel Saint-Hamon, comme pour son père, la guerre d’Algérie n’a pas vraiment eu lieu.

Cette rupture, l’auteur a passé sa vie d’écrivain à l’explorer. Il s’imagine vivre ce conflit dans son premier roman, Le bourricot, s’inspire de l’exode de son oncle Albert dans Le coup de Sirocco – dont l’adaptation au cinéma sera son premier scénario et le début d’une grande collaboration avec le réalisateur Alexandre Arcady. Le racisme, l’antisémitisme, l’exil et l’injustice, il en fait le récit, amoureux fou de cette Algérie française dont il passe en revue les désillusions, avec un humour critique. Dans Lionel d’Arabie, il raconte sa meilleure blague, celle de l’histoire de son père, triste de vérité et drôle d’incongruité, et fait le portrait digne de cette Algérie, celle qui était à tous et n’existe plus pour personne.

Édition: Orients éditions, 236 pages, 12 € en vente sur orienteditions.fr et amazon.

Syrine Gouni

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