par: Ghaleb Bencheikh
Le sort terrifiant qui s’abat sur les Ouighours est plus qu’une atteinte grave aux droits fondamentaux de la personne humaine, c’est un opprobre pour les autorités chinoises et c’est une verrue sur le visage de la communauté internationale qui laisse faire.
Certes quelques manifestations de réprobation se font voir et entendre, mais cela reste très en deçà de ce qui est requis pour venir en aide à un peuple en danger. Les tergiversations et les atermoiements dans la dénonciation sont incompréhensibles. A fortiori, la pusillanimité des Etats membres de la Conférence de la coopération islamique est plus qu’étonnante. Leurs dirigeants sont prompts à s’insurger contre les attaques dont feraient l’objet les musulmans de par le monde, alors qu’en l’espèce, ils s’illustrent par leur mutisme voire par leur complicité tacite.En effet, en dehors de Recep Tayyip Erdoganqui pour des raisons de proximité linguistique et culturelle se montre sensible au sort des Ouighours, l’a fait savoir au gouvernement de Pékin, les autres chefs d’Etat et de gouvernements arabes et musulmans se montrent extrêmement frileux. Ils peinent à condamner la répression qui prend pour cible le peuple ouïghour. Ils ne veulent pas compromettre leurs relations avec la Chine, notamment en ce qui concerne la coopération économique. Encore une fois, lorsqu’il s’agit d’intérêts économiques, les droits de l’Homme ne pèsent pas lourd et l’on devient très peu clairvoyant. Les dirigeants musulmans se drapent derrière le principe de non-ingérence dans les affaires internes des Etats. Ils considèrent que les questions relatives à la province du Xinjiang relèvent de la souveraineté nationale chinoise.
Pourtant,
des documents comme les Xinjiang Papers transmis au New York Times
en novembre de l’année dernière, informent de la répression terrible qui s’abat
contre les musulmans ouïghours. D’autres comme les China Cables,
confirment le caractère carcéral des camps d’internement construits à partir de
2014 dans le but d’enfermer des milliers – voire des centaines de milliers – d’Ouïghours
et de Kazakhs de confession islamique[1]. Ils
y sont amenés à abjurer leur religion, à renier leur foi et à affirmer leur
dévotion au parti communiste. L’internement est abusif et il se fait de façon
préventive, sans procès ni jugement dans le cadre d’une vaste campagne dite de
lutte contre le terrorisme.
Certes,
le terrorisme abject et la violence aveugle qui le caractérise sont à condamner
avec la dernière énergie, simplement ils deviennent parfois des prétextes
commodes pour tout régime qui veut opprimer une partie de la population. Il
suffit d’alléguer qu’elle est composée de séditieux et de séparatistes.Et quand
bien même il y aurait eu des mouvements subversifs de la part de certains Ouighours
gagnés aux idées wahabo-salafistes – car hélas l’idéologie fondamentaliste et
le djihadisme qu’elle secrète n’épargnent pratiquement personne – rien ne
justifierait un châtiment collectif aussi implacable. La lutte de l’Etat
chinois contre les séparatistes suit un mode systématique et coriace dans
l’organisation de la répression. Expropriations, fermeture de mosquées,
effacement des prénoms à consonance islamique, interdiction du pèlerinage à la
Mecque, ligature des trompes des femmes et exploitation par le travail des
hommes dans les camps, sont le lot des membres de la communauté ouïghoure
[1]On avance le nombre d’un million d’internés.
selon ce qui est rapporté. Des cadres communistes espionnent les familles pour vérifier leur allégeance au parti et s’assurer de l’ardeur de l’expression de leur nationalisme.
En outre, l’architecture traditionnelle des villes du désert de Takla-Makan et tout particulièrement la « physionomie » de l’oasis de Kashgaront été grandement détruites.L’urbanisme des cités au pied des montagnes du Tian Shan s’est transformé en construction plutôt moderne entamant ainsi sérieusement le patrimoine architectural séculaire de cette région.
Devant ces exactions, la minorité ouïghoure ne parvient guère à se faire entendre. Elle se démène pourtant via l’organisation internationale en exil – leCongrès mondial des Ouïghours – présidée par une femme septuagénaire, Rebiya Kadeer. Celle-ci, femme d’affaires issue de la noblesse traditionnelle ouïghoure, est une militante qui devait subir les affres des geôles chinoises pendant six ans pour divulgation de secrets d’Etat. Et après qu’elle a été élargie, elle a fui aux États-Unis. Parlant au nom du peuple ouïghour, elle déclare représenter son intérêt collectif aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la région autonome du Xinjiang de la république populaire de Chine. Rebiya Kadeer assure, dans ses rencontres avec les journalistes occidentaux, ne demander que la démocratie et le droit à l’autodétermination pour les Ouïghours et nullement l’indépendance ou une quelconque séparation d’avec la Chine.

Ces derniers jours, face à l’aggravation de la situation des Ouighours, la réaction encore timide au niveau international, commence petit-à-petit à être entendue. D’abord sur le plan diplomatique, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, par exemple, a condamné avec beaucoup de fermeté « tout le système répressif mis en place au Xinjiang (…) et toutes ces pratiques sont inacceptables car elles vont contre les principes universels des droits de l’homme ». Puis sur le plan économique, des entreprises chinoises accusées de participer aux persécutions de populations ouïghoures au Xinjiang sont désormais interdites de toute activité aux États-Unis sur décision du département d’État
Pour l’instant, le gouvernement chinois fait mine d’ignorer ces critiques qui se développent de plus en plus dans le monde. Arguant toujours que la politique chinoise au Xinjiang « ne relève pas des droits de l’Homme ni de la liberté de culte, mais de la lutte contre le terrorisme et le séparatisme ».
Le terrorisme et le séparatisme ont bon dos. Et les Ouïghours, uniment et indistinctement pâtissent d’une terrible répression. Nous verrons bien si une évolution dans cette politique se fera sentir dans les temps à venir.
par: Ghaleb Bencheikh