Le cinéma maghrébin primé à Bastia

Le cinéma maghrébin primé à Bastia

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Remise de prix au cinéma le Régent à Bastia. Crédit photo: Syrine Gouni

La Tunisie a beau se trouver à mille kilomètres de l’autre côté de la mer et l’Algérie est peut-être coincée derrière les portes battantes de ses frontières, cela ne les a pas empêché d’être les grandes gagnantes du cinéma à Bastia. Présentes sur les écrans du Régent et du théâtre municipal, elles étaient aussi incarnées par leurs réalisateurs et scénaristes aux Nuits MED.

La résidence d’écriture « Med in Scénario », organisée par le festival itinérant les Nuits Méditerranéennes, s’est tenue lors de la 38e édition d’Arte Mare en Haute-Corse. Avec des scripts sélectionnés dans une compétition dont le prix est un pré-achat par France 2, six jeunes scénaristes ont passé une semaine sous la direction de la réalisatrice Lidia Terki (Paris la blanche) aux abords de Bastia et de son festival cinématographique, Arte Mare, à la thématique imagée « Les monstres attaquent ! ». La localité est peut-être française, la chaîne, nationale, il n’empêche que les talents de la Méditerranée dans son ensemble étaient invités à participer. Parmi les finalistes se trouvaient d’ailleurs une jeune réalisatrice venue de Tunisie, Azza Baaziz, ainsi que Ahmed Ayed, tunisien arrivé de Belgique. La Corse, pour sa part, était représentée par Stephan Regol, et l’hexagone par Chloé Duval, Romain Gautier et le franco-portugais Alexandre Lança. « Je sais qu’il y a une vraie envie, aux Nuits MED, de faire cet échange, justement, sur tous les pays de la Méditerranée », affirme Lidia Terki, elle-même, française d’origine algérienne. Professeur au Cours Florent et accompagnatrice à « Med in Scénario » pour la deuxième fois, elle a été tout particulièrement impressionnée par les membres de la résidence cette année. « C’est vraiment du cinéma », résume-elle. « Ça se voit dans les projets, on sent qu’ils ont une vraie vision politique et un vrai point de vu sur le monde. »

La maquisarde de Nora Hamdi. Crédit photo: La Nouvelle Productions / Hevadis

Le jury, composé de deux réalisatrices, deux représentants de France Télévision et du directeur adjoint audiovisuel, cinéma et arts visuels de la Collectivité de Corse, était d’accord. Contre toute attente, faute de pouvoir départager ces candidatures de haut niveau, ils ont préféré jouer le rôle de porte-paroles et se sont battus ensemble pour faciliter la production du plus grand nombre. Nora Hamdi, écrivain et réalisatrice (Des poupées et des anges, La maquisarde), a prit le parti des scénaristes féminines, dans un souci de parité et avec une conscience aiguë de l’importance de la représentation. Elle aussi, a admiré la qualité des projets qui lui ont été présenté : « c’était abouti, bien écrit, ils avaient déjà une vision cinéma, des sujets éclectiques. ». La réalisatrice a salué, notamment, l’effort considérable fourni par Lidia Terki tout au long de cette semaine d’écriture durant laquelle elle a pu constater la progression des scénaristes et l’évolution de leurs textes. « Je trouve qu’ils font un travail extraordinaire, ici, un gros travail de fond ». Son propre film, La maquisarde, auquel les spectateurs parisiens peuvent encore assister à l’espace Saint-Michel, a été projeté durant le festival méditerranéen de Arte Mare à Bastia. Il s’agit de l’adaptation de son livre, dont le récit est puisé directement de l’expérience de sa mère lors de la guerre d’indépendance d’Algérie. Nora Hamdi y met en lumière le sort, trop longtemps oublié, des femmes algériennes emprisonnées et fusillées dans l’indifférence de la nation et de l’Histoire. Son oeuvre, engagée, fait écho aux travaux d’une génération de plus en plus consciente de l’importance de la parole et du pouvoir du septième art.

Sélection « Med in Scénario » 2020. Crédit vidéo: Syrine Gouni

Le messager de bonne augure lors de la remise de prix de cette 9e résidence d’écriture « Med in Scénario » était Laurent Simonpoli, responsable de programme pour la chaîne régionale de France 3 en Corse, ViaStella. Le prix, un pré-achat de quinze mille euros, a été doublé afin de financer la production de deux des six scripts en compétition. Cette contribution exceptionnelle, le représentant de l’audiovisuel l’explique ainsi : « il y a un effort qui est redoublé, à cause de la crise sanitaire, où France Télévision – et le services publique en général – a conscience qu’il faut aider la culture, qu’il faut aider les créateurs, qu’il faut aider les auteurs. » Attribués par France 2 – dont le responsable du pôle court métrage, Christophe Taudière, a participé aux délibérations à distance -, ces deux pré-achats ont été remis à Alexandre Lança, pour Trois silhouettes, et Stéphan Regoli, pour Khair Inchallah. Et à cela s’ajoute la contribution de France 3 ViaStella, qui a pris l’initiative de financer à hauteur de cinq mille euros le projet de la tunisienne Azza Baaziz, Oranges d’été, sous réserve que son film se tourne en Corse. À la clôture de cette semaine d’écriture, la jeune réalisatrice préparait déjà la visite de potentiels lieux de tournage sur l’île, tout comme les deux autres lauréats. Chloé Duval, pour sa part, va persévérer dans l’exécution de son second court métrage, Hiérarchie des Vagues, sur l’île de Beauté tandis que Romain Gautier ira proposer son scénario, Le sillon, en Occitanie et que Ahmed Ayed est retourné en Belgique avec, sous le bras, le script retravaillé de Boubchir et deux producteurs déjà engagés sur le projet. Bénéficiaires ou non du financement de France Télévision, il était difficile de les voir partir sans acquiescer à la déclaration de Lidia Terki au dernier jour de la résidence : « vous allez tous les faire, j’en suis sûre. »

Groupe « Med in Scénario » 2020. Crédit vidéo: Syrine Gouni

Julie Perreard (Sur la terre nue), participante déçue de « Med in Scenario » lors d’une édition précédente, est l’exemple concret de la véracité de ce propos. Elle avait alors présenté son second projet de réalisation à un jury de professionnels, tout comme l’ont fait ces jeunes talents auprès d’elle cette année. Et bien qu’elle n’ai pas remporté le prix à l’époque, la cinéaste corse est parvenue à tourner son court métrage. Avec cette sélection 2020, elle a pu constater l’évolution, depuis sa propre expérience, vers des films qui sont de plus en plus engagés. Jean François Vincenti, de la Collectivité de Corse, en fait l’analyse : « cette génération est vraiment empreinte de cinéma et elle est très politique. Peut-être que la société est telle qu’on ne peut pas ne plus être politique quand on fait du cinéma ». Porteur du septième art dans un département de tout juste trois cent cinquante mille habitants, il perçoit la richesse de sa situation : « La Corse est un territoire ouvert et on a envie de vivre pleinement notre place au milieu de la Méditerranée et d’échanger, justement, des liens culturels avec d’autres pays, de créer des synergies, surtout dans la création. Je trouve que le sursaut de nos sociétés peut certainement venir de jeunes créateurs qui s’investissent, qui sont généreux et qui, comme ça a été le cas sur cette résidence, partagent leurs univers et créent des liens d’amitié, de réseau et de solidarité. » Déjà visitée par des projets libanais et kabyles, l’Île de Beauté accueil à bras ouverts les cinéastes de la rive africaine qui lui fait face. « [A]près, il faut que les projets s’y prêtent parce que parfois ça peut trahir. On a eu un long métrage algérien qui était formidable, mais qu’on a pas pu aider parce que tourner ici, ça aurait gâché le projet, étant donné que il y avait vraiment besoin d’une présence architecturale qu’on a pas forcement ici et beaucoup de figurant… Voilà, c’était un peu compliqué. »

143 rue du désert & L’homme qui a vendu sa peau. Crédit photo: Dr

À Arte Mare, le festival qui se déroulait en parallèle dans la ville de Bastia, c’est justement un long métrage algérien qui a été primé : 143 rue du désert de Hassen Ferhani a remporté le grand prix du jury. Ce documentaire, huit-clos au cœur de l’immensité du désert a fasciné avec son sujet, Malika, et son sens très fin de la mise en scène. L’Homme qui a vendu sa peau de la tunisienne Kahouter Ben Hania, récit d’un réfugié syrien qui s’est fait tatoué un visa sur le dos, a fait grand bruit tout au long de la semaine et a gagné le prix du public et le prix « Jury Jeune ». Dans une compétition de sept films qui regroupait des productions de dix nationalités différentes, il est révélateur que les deux gagnants de ce grand festival corse soient d’un réalisateur algérien et d’une réalisatrice tunisienne. Là où le reste de la France perçoit le Maghreb, la Corse voit la Méditerranée.

Hosni Ben Amor, scénariste invité des Nuits MED. Crédit vidéo: Syrine Gouni

Syrine Gouni

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