Assister à une séance de court métrage, c’est comme de joindre un club exclusif qui n’attend que vous. Au cinéma le Grand Action à Paris le 23 septembre dernier, le public a pu en faire la découverte avec la projection d’un « Panorama Corse » pour le festival itinérant les Nuits Méditerranéennes. Dans la salle, réalisateurs, techniciens et acteurs se confondent, à la croisée des disciplines d’un domaine où l’on ne cesse jamais d’apprendre.
Lorsque Delphine Leoni donne à chanter à l’un de ses protagonistes Sister Morphine, c’est pour sa première réalisation La nuit est là. L’histoire est inventée, les personnages fabulés, mais quand on rencontre la jeune réalisatrice – journaliste audiovisuelle tout comme son héroïne -, on ne peut s’empêcher de la percevoir partout dans son film. Lorsque Marianne Faithfull a écrit cette sérénade à la souffrance achevée avec Mick Jagger et Keith Richards, elle ne se doutait pas qu’il s’agissait là d’une fiction qui aurait le malheur de se prophétiser. Mais tandis que la chanteuse a joué son propre rôle en tentant de mettre fin à ses jours quelques temps après avoir enregistré ce titre, la réalisatrice corse préfère prêter à Raphaëlle Godin sa place, dans un portrait comme un calque imparfait. Bien entendu, le récit de son court métrage n’est pas réel, mais comme l’expliquait Delphine Leoni en juillet dernier lors d’une session « partage d’expérience » organisée dans le cadre des Nuits MED, quand on réalise un film, il faut s’attendre à être un peu transparent. C’est d’ailleurs de cette fameuse chanson interprétée par les Rolling Stones dont les apprentis scénaristes, présents à Ajaccio pour la première partie du festival itinérant, ont alors discuté avec elle. Question budget, quand on a à cœur d’écrire une histoire où figure un morceau aux droits d’auteur si conséquents, il vaut mieux adresser le sujet dès les commencements de la production.

Chez Nathalie Giraud, qui en est déjà à sa troisième réalisation, les débuts de son court métrage Les saisons sauvages datent de plusieurs années. Premier écrit, dernier tourné, ce projet a connu bien des métamorphoses avant de prendre sa place sur les écrans. De ses origines solaires et corporelles, il reste des traces dans le choix de la poète américaine Louise Glück pour la citation d’ouverture. Mais repoussé à la merci de l’hiver après maintes péripéties, ce récit d’initiation est l’exemple probant de la transformation qu’imposent les très nombreuses variables qui régissent la production d’un film. Adaptable et persévérante, la réalisatrice est venue faire part de son expérience le 23 septembre dernier au CNC (Centre National du Cinéma et de l’Image Animée) à Paris, dans le cadre du dispositif Talents en Court. Action proposée sans condition de formation significative, sont invités à y postuler les individus au potentiel artistique identifié dont l’ambition est de réaliser un film dans des conditions professionnelles. Pour le département Corse, c’est l’association Diffusion KVA de Alix Ferraris et son festival les Nuits Méditerranéennes qui est chargé de faire le lien entre talents émergeants et professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. Soutenue par la collectivité de Corse où son court métrage a été tourné, Nathalie Giraud s’est volontiers prêtée aux questions des jeunes cinéastes de ce territoire dont elle a su infailliblement surmonter les défis.
Avec une expérience de tournage très différente et un budget notablement plus élevé, Loïc Gaillard est lui aussi venu à la rencontre de ce public attentif aux côtés de Jonathan Hazan, le producteur de son film La veuve Saverini, et de Aurélie Chesne, responsable chez France Télévision du programme Libre court. Dans une réalisation où l’antagoniste est figuré par l’horizon azur à la pointe sud de l’Île de Beauté, les épreuves étaient toutes autres. Comment traduire Une vendetta – nouvelle de Maupassant de moins de deux milles mots – en un film de dix-neuf minutes où dix-neuf mois auraient tout aussi bien pu passer ? Au fait du cheminement qu’un scénario doit suivre pour sortir de son carcan de papier, le réalisateur et le producteur ont également contribué à la session de « partage d’expérience ». Et bien que cette rencontre tenue l’après-midi du 23 au CNC était en petit comité, la projection qui a suivi, au cinéma Le Grand Action du 5e arrondissement de Paris, était ouverte au public. L’audience qui a eu vent de cette séance de une heure trente de films pas comme les autres a alors pu engager le dialogue avec les cinq réalisateurs présents. Ce soir là, dans le Quartier Latin, producteurs, techniciens, ainsi que bon nombre d’acteurs étaient dans la salle pour assister à la programmation « Panorama Corse ». Le court métrage – cinéma éphémère qui ne désire que d’être vu – se veut à la portée de tous et ses artisans – professionnels accomplis et passionnés – n’aspirent qu’à le partager.

Jules Zingg, réalisateur de High dating, a d’ailleurs répondu aux questions de l’assistance à plusieurs projections de son récit d’anticipation. A l’origine enraciné dans la nature qu’il occupe, ce scénario s’est transfiguré lorsque l’actrice principale s’est montrée plus capricieuse que le cinéaste ne l’eut anticipé. Tel un sujet de mythologie païenne où l’animal est un homme déguisé, dans ce court métrage, le protagoniste se confronte à un bouc animé de pulsions humaines. La chèvre, mammifère domptable mais peu amen à être dressée, a finalement été découverte sur les réseaux sociaux. Cependant lorsque Yoann Leborne – maître de la bête apprivoisée dont il relate les exploits sur instagram – a présenté sa charge à l’acteur sélectionné pour le film, le contact s’est fait à coup de cornes. Mais le regard du réalisateur se portait alors déjà sur le paysagiste à la plastique de jeune athlète et à la cyber-notoriété. Puisque la chèvre ne suit que cet homme qui l’a nourri dès la naissance, c’est avec lui qu’elle partagera l’affiche. La régression sauvage au centre de la Corse montagneuse s’est ainsi recomposée en un retour à la nature où les thèmes futuristes s’infiltrent en un contraste déconcertant. Avec le soutien d’Alix Ferraris et de son festival qui a conduit le cinéma Corse dans l’hexagone, Jules Zingg a pu partager son film et son expérience. Et le 28 octobre, ce sont des courts métrages venus de Tunisie, Palestine, Italie et Syrie que les Nuits Méditerranéennes porteront à Paris.

Pour Léonard Accorsi c’était l’opportunité, au Grand Action, d’une première parisienne avec la projection inédite de son court métrage Gasoil. Cette comédie noire a tout d’un drame si ce n’est l’inexorable catharsis engendrée par l’enchaînement absurde d’effrois réels. L’ordinaire hors de contrôle, où la violence surgit dans une suite d’évènements à la Fargo, se déploie en un récit complet d’à peine plus d’un quart d’heure. La Corse de nuit pourrait tout aussi bien être américaine, et c’est ainsi que la décrit le réalisateur : une page blanche où tout ce qu’on veut filmer doit être mis en lumière. Son producteur, Arnaud Bruttin, et lui ont éclairé de leur perspective les talents présents au CNC le 23 et se sont joints à la projection du film dans le 5e arrondissement. L’actrice talentueuse de Gasoil, Marie-Pierre Nouveau (La veuve Saverini, Une vie violente) est elle aussi venue à la rencontre du public, d’abord devant l’écran géant, puis dehors sous la pluie. Face au Grand Action à la sortie du « Panorama Corse » se pressaient acteurs, réalisateurs, scénaristes et spectateurs, discutant de la sélection qu’ils venaient de visionner. C’est d’ailleurs là que Armande Boulanger (Les saisons sauvages, Portrait d’une jeune fille en feu) se trouvait lorsqu’elle a accepté, avec un enthousiasme communicatif, de répondre à nos questions (interview vidéo plus haut). Délia Sepulcre Nativi (Une vie violente, Over la nuit) s’est elle aussi entretenue avec Salama plus tôt dans la journée au Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (interview vidéo ci-dessous).
Syrine Gouni