Première immersion dans la création cinématographique, le court métrage est la carte de visite des réalisateurs, scénaristes et comédiens de demain. Insignes au format bien particulier, ces films dépendent de festivals, petits et grands, à travers le monde, afin de pouvoir être exhibés.
La sélection du festival Cinéma en Liberté de Toulon illustre parfaitement ce qu’est encore un médium peu connu du grand publique. Avec ses trois lauréats, Frontiera, Matriochkas et Qu’importe si les bêtes meurent, on découvre un cinéma jeune et dynamique, au regard engagé, dont la candeur ne transparaît que dans l’émancipation des codes qu’imposent la pratique. Fondé par la galeriste Lisa Dora Fardelli, le festival Cinéma en Liberté, qui s’est déroulé cette année sur trois jours avec vingt-huit courts métrages en compétition, porte aptement son nom. C’est en effet sous les étoiles, à la Tour Royale de Toulon – monument historique construit sous Louis XII au seizième siècle -, que le public a visionné la sélection internationale de cette 9ème édition. La séance de clôture qui a, pour sa part, prit place au cinéma Le Royal de Toulon, a débuté avec le court métrage hors compétition de Jules Zingg, High dating. Invité avec Alix Ferraris, directeur du festival corse Les Nuits MED, le réalisateur s’est prêté aux questions du publique à la suite de la projection de son film à l’onirisme ovidien. Entraîné dans le panorama sublime des hauteurs corses par une agence de rencontre aux airs futuristes, on se retrouve plongé à la renverse dans un songe au réalisme ambigu. Avec cette entrée en matière au dernier soir du festival, High dating annonce d’emblée ce qu’est un court métrage : le cinéma libéré des normes et un film, avant tout.
Frontiera de Alessandro Di Gregorio, grand prix

Au large de la côte sud de l’Italie, un plongeur et un croque-mort partagent un ferry pour l’île de Lampedusa. Dans le silence écrasant d’un film où le réalisateur s’est évertué brillamment à faire parler sans dialogue, on découvre le revers déchirant de ce qui est, depuis les années 90, le point d’entrée privilégié des migrants sans papiers en Europe. Dans ce court métrage de l’italien Alessandro Di Gregorio, nos deux protagonistes participent, pour la première fois, au mécanisme d’une île de vingt mètres carrés qui dut construire son propre centre de rétention pour endiguer les vagues de réfugiés qui l’assaillent. Dans un paysage désolé, les cadavres des embarcations de fortune sont les seules traces visibles de ces visiteurs venus d’Afrique. Au fil de Frontiera, les naufragés brillent de leur absence, jusqu’à ce qu’on perçoivent les premières traces de leur passage dans le regard effaré de l’acteur Bruno Orlando. Avec Fiorenzo Madonna, qui interprète son homologue garde-côte, ils cohabitent en parallèle, individus très différents confrontés à une même tragédie à laquelle ils réagissent silencieusement. La brutalité de la réalité dépeinte ne nécessite pas de mots. L’horreur, c’est avec eux qu’on la ressent, puis on la voit.
Matriochkas de Bérangère McNeese, prix coup de cœur

Si ce n’est ses vingt-quatre minutes, Matriochkas a tout d’un long métrage conventionnel. Mais c’est surtout, à n’en pas douter, un grand film. Drame ordinaire d’une situation banale, l’histoire que nous raconte Bérangère McNeese n’a d’exceptionnel que son exécution. Et c’est cela même qui rend ce court-métrage extrêmement percutant. Dans cet univers lumineux où la palette colorée ne s’accorde pas forcément aux tons gris de l’existence, les gosses grandissent vite quand leurs parents ne mûrissent pas. Héloïse Volle, actrice formidable dans le rôle d’Anna, joue l’adolescente concupiscente au quotidien heureux. Elevée par une mère qui était déjà mère à son âge, elle doit prendre seule une décision adulte, au risque de briser un équilibre rassurant. Au son enfantin du carillon de Ténébreux par PLK, sous le soleil radieux de La Ciotat, la réalisatrice belge nous transporte sur le chemin du lycée, dans des recoins aux faux airs de Floride américaine. On y rencontre des personnages humains à l’affection maladroite, tel que Rebecca, jeune mère jouée par la talentueuse Victoire Du Bois (Call me by your name), qui ne manque pas d’amour pour sa fille. Mais dans ce tableau hyperréaliste, la femme est un enfant qui fait un enfant comme elle.
Qu’importe si les bêtes meurent de Sofia Alaoui, prix du jury

Récompensé par le Grand Prix du Jury au festival du film de Sundance aux Etats-Unis en janvier dernier, cet ovni marocain transpose dans les montagnes de l’Atlas un genre vu et revu dans le cinéma américain. Mais on est bien loin des apocalypses du film traditionnel hollywoodien lorsque au lieu d’une mer de véhicules abandonnés pour signaler en une prise de vue la catastrophe, tout ce qu’on a c’est un mulet. Dans ce cadre hors des sentiers battus de ce que les cinéastes d’aujourd’hui connaissent de la science-fiction, Sofia Alaoui nous invite à partager le périple d’Abdellah, berger envoyé par son père au village le plus proche pour trouver du grain pour ses bêtes. Sous un ciel déchiré d’anomalies que la caméra discerne à peine, l’homme et son mulet traversent les étendues désertes qui séparent la bergerie de la civilisation. Porté par la musique saisissante de Amine Bouhafa et l’interprétation de Fouad Oughaou, le voyage d’Abdellah est une épopée paisible et étrange. L’isolation, d’abord géographique, se transforme en anomalie inquiétante et atteint son apogée lorsqu’on rencontre enfin quelqu’un. Dans la ville, il semble n’y avoir personne. Abasourdis par une vérité inconcevable, ils s’en sont tous allés à la Mosquée, et qu’importe si les bêtes meurent…
Syrine Gouni