Pour deux soirées mémorables, les Nuits Méditerranéennes ont amené le Maghreb, le Moyen-Orient et la Corse dans le célèbre quartier latin parisien. Avec la reprise d’un palmarès de six films en provenance des deux rives de la Mare Nostrum, et la présentation d’un panorama Corse soutenu par une lecture exceptionnelle en hommage à Germaine Dulac, le festival itinérant a achevé son année au cinéma le Grand Action à Paris.
Isabelle Gibbal-Hardy, directrice de ce cinéma d’exception, a ouvert ses portes aux Nuits Méditerranéennes dans l’une des trois salles de cette institution, antre des ciné-clubs où art et essai s’affichent sur les écrans et débats éclairés les accompagnent au devant. Invités d’honneur, Sami Tlili, Abdenoure Ziane et Hüseyin Aydin Gürsoy s’y sont vus remettre en personne les prix décernés pour leur réalisations – Hors-jeu flagrant, Jeûne d’été et Partir en poussière – devant un public d’acteurs, de réalisateurs et de spectateurs avides d’un cinéma innovant, dense de récits riches et porteurs de messages forts. Benjamin Behaeghel, gagnant du prix Med in Scénario, a lui aussi reçu son prix, pour son projet Une reine, avec un pré-achat par France Télévisions pour la production de son film. Alix Ferraris, directeur du festival les Nuits Med et de l’association diffusion KVA, a invité tour à tour les présidents des jury et les participants à la résidence d’écriture menée l’été dernier, pour un salut final… Avant de promptement annoncé le lancement de l’appel à projet pour la prochaine édition de Med in Scénario.

Lors de la nuit de clôture, le jeune cinéaste Valécien Bonnot-Gallucci en tandem avec l’historien du cinéma Prosper Hillairet, ont inauguré une projection de cinq courts métrages avec une rencontre, entre l’écrit et l’écran. Hommage à Germaine Dulac, on y a découvert l’illustre cinéaste à travers un documentaire précédé d’une lecture de l’un de ses articles. Le professeur Hillairet, auteur de l’oeuvre Écrits sur le cinéma, travail d’excavation qui réunis les textes de la réalisatrice, a prêté sa voix au sujet de son ouvrage avec un passage choisi parmi les écrits qu’il a prit soin de réunir : « Le cinéma, art des nuances spirituelles » (extrait audio ci-dessous). Valécien Bonnot-Gallucci, étudiant doctorant en histoire de l’art et du cinéma, a complété l’expérience à sa suite, avec son court-métrage Les archives de la mer. A mi-chemin entre le documentaire et la fiction, ce film au récit poétique, s’entrecoupe d’images d’archives et d’entretiens révélateurs, pour une redécouverte unique du personnage de Germaine Dulac.

S’en est suivi une soirée cinéma sous le ton du court dramatique, selon les codes de la science-fiction dans Le télescope d’Einstein de Evgenia Alexandrova, porteur d’espoir et de tolérance avec Son visage de Carolie et Eric Du Potet et décidément corse dans le trio Alpa de Paolo Mattei, Arabacciu de Alexande Oppecini et Pour que rien ne change de Francescu Artily.
Hors-jeu flagrant de Sami Tlili, prix RCFM

La nuit d’un match décisif, la Tunisie toute entière s’enflame pour le combat qui prend place sur les écrans et fait résonner les radios du pays. Mais un homme, désintéressé par l’évènement qui commande l’attention de la nation, traverse la nuit tunisienne désertée. S’ensuit un périple saccadé, interrompu par le cheminement de policiers en patrouille dont l’unique désir est de voir leur équipe victorieuse, et dont le tempérament se rattache dangereusement au déroulement du match. Le protagoniste solitaire, au coffre rempli de colis mystérieux, se voit confronté à l’autorité en mal de foot. Et qu’importe si le sort de ce voyageur reste en suspens : cette histoire n’est plus la sienne. Les flics s’en sont saisis et la liesse de la victoire réclame son dû.
Soutenu par l’interprétation de Majd Mastoura et le superbe duo formé par Mohamed Grayaa et Bahri Rahali, ce film de vingt minutes offre une immersion cocasse dans l’une des innombrables facettes de la société tunisienne. Derrière la caméra, Sami Tlili parvint avec humour à en faire le portrait.
Jeûne d’été de Abdenoure Ziane, prix COPEAM

Deux enfants relèvent un défi qui mettra à l’épreuve leur amitié : Kader fait le jeûne du ramadan pour la première fois et Rudy est déterminé à lui être solidaire. Tout deux, morts de faim et morts d’ennui comme seuls des enfants savent l’être, s’entêtent à déjouer les tentations qui abondent. Sous le soleil écrasant de leur petite cité, l’un se fait le devoir de faire honneur à sa religion, tandis que l’autre y trouve un jeu nouveau qu’il compte bien gagner en équipe. Foisonnante de personnages charmants, la journée d’été des garçons est rythmé par la faim grandissante et la volonté tenace telle qu’elle n’existe à cet âge qu’en de rares et brillantes occasions. Sous le regard indulgent de voisins et parents, les deux gamins font le tableau vibrant de deux mondes coexistants.
Sous la direction de Abdenoure Ziane, cette aventure d’une journée éveille les souvenirs nostalgiques des uns et permet la découverte joyeuse d’une expérience pour d’autres. Mais au delà de ça, à travers le regard innocent de ses protagonistes, le jeune réalisateur produit un récit dont la portée se révèle presque universelle.
Partir en poussière de Hüseyin Aydin Gürsoy, prix Grand Action

Elif, Hasan et leur fils sont une famille d’immigrés turcs vivant dans le nord de la France des années 90. Les parents, comme bon nombre d’autre familles venus de Turquie, travaillent dans le textile pour un employeur abusif qui profite du statut de sans-papiers de sa main d’oeuvre pour ne pas la payer. Endetté, Hasan considère quitter la France mais Elif refuse d’envisager le départ. Elle décide, une nuit, de récupérer le salaire qui est dû à sa famille. Elle part alors en cachette à la recherche de l’homme qui met en péril le futur de son fils et se voit confronté à un personnage hostile et violent. Advient alors une confrontation foudroyante, catastrophe en chaine au dénouement incertain.
Mené par l’époustouflante Eminé Meyrem, le scénario de Hüseyin Aydin Gürsoy s’inspire de son enfance, lorsque ses parents partageaient la situation et les difficultés de ses personnages. La fiction se risque alors là où la réalité ne pouvait se permettre de s’engager, dans un récit au triomphe difficile.
Œil Blanc de Tomer Shushan, Grand prix

À un croisement de rue, au coeur de la nuit, Omer Attias se retrouve nez à nez avec sa bicyclette volée. Enchainée au trottoir, elle porte encore sa marque et c’est, dès lors, l’opportunité d’obtenir réparation pour le crime dont il fut la victime. Bien vite, le coupable de circonstance apparaît : un travailleur immigré qui a racheté le bien volé. S’ensuit vingt minutes frustrante pour le héros dépouillé qui fait appel aux forces de l’ordre face à l’obstination du nouveau propriétaire du bien égaré. Mais la justice est un privilège qui ne traite pas l’Homme avec équité et la morale de l’histoire n’est de ce fait pas infligée à son héros. Il n’en subit que son écho : une crise de conscience, conséquence à la hauteur de l’injustice subit, qu’il manifeste d’un final acte destructeur.
Dans une parfaite allégorie du récit, la caméra de Tomer Shushan reste attachée à son protagoniste, dans un cadrage large qui illustre la perspective étroite du personnage. Le décor, comme une scène de théâtre panoramique, offre un spectacle nocturne aux personnages récurants qui ne capturent pourtant jamais l’attention du héros.
Come a Mícono de Alessandro Porzio, prix du jury Talents

Maresolo, petite ville côtière italienne aux charmes abondants et à la moyenne d’âge ascendante est confrontée à la mortalité grandissante de sa population et l’extinction imminente de sa communauté. Le maire, prit d’une idée et saisit d’une conviction infaillible, propose de mobiliser le village de septuagénaire afin de créer la solution de la dernière chance : transformer la commune agonisante en une destination touristique. Les personnages, haut en couleur, forment le décor délabré mais drôle de ce recoin pittoresque. Ensemble ils tentent, sous la direction énergique du maire grisonnant, de créer le spot publicitaire qui ravivera leur démographie déclinante.
Comédie à l’italienne rythmée d’une musique entrainante et appuyé par une distribution brillante, ce film de Alessandro Porzio parvient, en l’espace de quinze minutes, a traité avec humour et optimisme un sujet dramatique de l’actualité mondiale : celle des vagues d’immigrants qui s’échouent sur les côtes italiennes chaque année.
What we don’t know about Mariam de Morad Mostafa, prix de la Critique

Enceinte, Mariam est accompagnée par son mari et sa fille à l’hôpital. Victime de ce qui apparaît être la tragédie commune d’une fausse couche, la situation tourne rapidement au drame lorsque la gynécologue qui la soigne partage de tout autre conclusion avec l’époux de sa patiente. Le tabou et les non-dits, violemment exposés par des images chocs ou masquées par des dialogues distants, soulignent l’impuissance de la jeune femme dont la cause est plaidée par son père. Mais si elle ne fait que rarement entendre sa voix, elle n’en est pas moins dépourvue. Confrontée à la désintégration matrimoniale, exposée à son extrême, elle use alors de son unique pouvoir. Car ce que l’on ne sait pas de Mariam, c’est avant tout ce qu’elle a eu la liberté de cacher.
Filmé d’un regard voyeur évoquant le documentaire, ce court-métrage de Morad Mostafa n’a pas froid aux yeux. Dans sa représentation d’un des microcosmes importants de la société égyptienne, celui de la famille, il exhibe dans toute son intimité le couple et dévoile la place, fragile, qu’y tient la femme.
Syrine Gouni