Gaza mon amour: L’amour au temps du Hamas

Gaza mon amour: L’amour au temps du Hamas

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Avec tendresse et inventivité, les frères Nasser viennent délivrer une comédie mordante sur la vie dans un Gaza en crise perpétuelle.

Issa Nasser est un pêcheur sexagénaire menant une vie monotone à Gaza. Sa sœur cherchant à le marier lui présente sans cesse des femmes mais il n’a d’yeux que pour Siham, sa voisine de marché. C’est alors qu’il trouve dans ses filets une statue antique munie d’un pénis énorme.

Une chose frappe à la vue du dernier film des frères Nasser. Tout dans leur mise en scène exprime l’oppression et l’incommunicabilité. Que ce soit des surcadrages causées par des barres d’immeuble (auquel se joint leur reflet), d’une cabine, d’une échelle, voire d’un faisceau lumineux… Que ce soit des travelling arrière plongeant les personnages dans un monde qui les dépasse ou des plans quadrillés par des barreaux, des câbles voir des stands à linge, tout est mis en œuvre pour donner l’idée d’une société mise sous cloche, à l’image des 5 km de mer auquel est cantonné Issa.

La société gazaouie va mal, le film égrène au cours de son déroulement les éléments de sa déliquescence : les coupures d’électricité, les salaires en berne, la loi du Hamas, les bombardements israéliens, le ras-le-bol des jeunes… Le tout dans une atmosphère moite et peu ragoutante exprimée de-ci delà par des plans sur une friture, de la farce passé à la moulinette, ou des poissons déversés en masse dans un panier. Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Gaza.

La misère sexuelle est un élément central de ce malaise, le film ne manquant pas d’allusion scabreuse à quelque refoulement parfois même homosexuelle, témoin la vénération de ce missile phallique renvoyant directement au pénis de la statue.

Car c’est dans cet univers figé et moribond que cette statue d’Apollon vient cristalliser les divers fantasmes et impensés. L’histoire est tirée d’un fait réel : en pêcheur de Gaza a effectivement récupérer dans ses filet une statue du dieu grec Apollon, statue qui disparaitra mystérieusement peu de temps après. Etrange contraste effectivement que cette figure païenne, symbole de l’Art et de la beauté masculine dans le monde ultra-conservateur du Hamas (même si dans le contexte c’est la venue de Dionysos qui aurait été vraiment appropriée). La divinité par ailleurs souffre de cette venue, puisqu’il est castré sitôt découvert. Couvert par les autorités dans leur délire ubuesque, Apollon est traité quasiment comme une entité vivante. La mise en scène nous donne même l’impression qu’il bouge de lui-même. En cela, le film renvoie à un autre mythe grec : celui de Pygmalion, ce sculpteur misanthrope tombant amoureux de sa propre statue à laquelle les dieux donneront vie.

Si Issa ne tombe pas amoureux de sa statue (c’est aux membres de l’autorité, policiers et professeurs, que revient ce loisir), celle-ci semble toutefois réveiller en lui ses désirs et le pousser à franchir le pas brisant ainsi l’incommunicabilité.

Poétique sans être niais, caustique sans être lourdingue, Gaza mon amour constitue une proposition généreuse de cinéma en même temps qu’il pose un regard anodin sur son monde et son époque et vient prouver s’il en était besoin que les temps les plus dures sont aussi bien souvent les terreaux les plus propices à la comédie.

David Olivesi

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