Brusgiature, le feu sacré de Dominique DegliEsposti

Brusgiature, le feu sacré de Dominique DegliEsposti

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Propos accueillis par David Olivesi

La clôture du festival des Nuits Meds, le 28 septembre dernier, fut l’occasion de redécouvrir, ce film corse, d’une grande rareté, réalisé en 1972, par le plasticien Dominique Degli-Eposti.Tourné quasi-entièrement sur le décor halluciné de la plage de Nunza, avec des comédiens amateurs,Brusgiaturerésonne comme une étrange poésie fougueuse et surréaliste. Nous nous sommes entretenus avec son réalisateur dans l’espoir d’en savoir plus au sujet de cet objet filmique non identifiable.

SALAMA : Pouvez-vous me décrire votre parcours avant le film ?

Dominique DegliEsposti : J’ai fait des études au lycée de Bastia. J’ai eu mon bac. Très gosse, j’ai commencé à peindre (…) puis j’ai beaucoup été intéressé par l’image et par le film. J’ai commencé à imaginer une histoire qui raconte l’histoire d’un couple qui part d’une soirée avec des amis et qui peu à peu s’isole et revient à Eve, Roméo et Juliette mais toujours lié avec cette société de jeunes.

SALAMA : Quel était le contexte du cinéma en Corse ?

D.D.E: Il n’y avait aucune aide. J’avais emprunté de l’argent à ma famille pour acheter une caméra, pour assurer la pellicule. Surtout, je suis arrivé à convaincre un groupe d’ami. C’était une aventure extraordinaire. On ne pensait pas être des stars mais on pensait faire des choses qui nous plaisaient. On a commencé à faire des équipes de costumes, des équipes de ci, des équipes de là dès qu’on a eu les moyens. J’avais demandé de l’aide à la région et le Conseil général nous a accordé une toute petite subvention. C’est un film qui a coûté très peu cher.

SALAMA : Comment s’est passé le tournage ?

D.D.E : Nous étions une petite bande qui s’est agrandie. On a tourné sur deux étés. Nous nous sommes installés dans un endroit impossible. Avant,on n’accédait pas à la plage de Nunza par la route. Il fallait 20 minutes au moins pour arriver en bas. Vous imaginez les sacs de ciments pour les décors ! Et l’électricité pour recharger les caméras et écouter la musique le soir ! L’essentiel c’était l’organisation. Nous vivions dans les ruines. La famille Filipetti nous avais donné une seule maison avec un toit convenable. C’était là où nous faisions la cuisine, mais vous imaginez descendre des cuisinières de là-haut ? J’insiste parce que ça prouve un mouvement, une fois incroyable. Je ne sais pas si ça existe toujours.

SALAMA : Le film s’est donc déroulé dans une ambiance assez débrouillarde, assez libertaire, presque hippie.

D.D.E : Magnifique ! Nous mettions chacunl’équivalent de 15 euros chaque semaine. C’était comme des vacances. Tout le monde a été extraordinaire. Imaginez qu’on ait été payé au minimum syndical ! Le film aurait été impossible !

SALAMA : Pourquoi avoir mis dix ans pour monter le film ?

D.D.E : J’avais projeté des images (du film) dans la boite de nuit du Ranch de Bravona. Un monsieur est venu, Pierre Sayag. Il m’a dit : « Ces images m’intéressent, je vous emmène à Paris ». Nous avons commencé à faire un pré-montage. Il y avait à côté de moi des vedettes dont je ne cite pas les noms mais qui sont devenu des réalisateurs célèbres… C’était une ambiance magnifique. Un jour, Pierre produisait un film de Eric Le Hung. et il m’a dit : « ça y est, on va pouvoir finir ton film d’auteur, d’auteur, d’auteur ! ». Ils ont produit un film qui s’appelle Moi Fleur Bleue, avec Jean Yanne, Sydne Rome et Jodie Foster. Malheureusement le film s’est planté et je ne pouvais même plus récupérer les bobines de mon film. On a dû prendre un avocat et trouver une autre production pour nous sauver. Finalement, un ami qui n’est plus là, Maurice Fleuret, qui a inventé la Fête de la musique planétaire […]m’a fait faire une exposition [de mes photos] à Île-Rousse. C’est là que je lui ai montré le prémontage. Et comme Pierre Mauroy l’avait nommé responsable [au ministère de la culture] de la musique et de la danse, un jour il m’appelle en Corse, il me dit : « Ecoutez Dominique je me suis permis d’envoyé une lettre à Jack Lang en disant que j’ai vu un film et que si les pouvoir publics ne s’en occupent pas, ce film n’existera jamais ». Il y a eu entre eux des réunions sur moi et j’ai eu l’argent pour faire le montage et la sonorisation. Le film a été monté par Jacqueline Fano et son mari [Michel].Ils avaient fait ce film, La griffe et la dent : un film sur les animaux sans aucun dialogue. Nous étions à l’époque amis avec Iannis Xenakis, grand compositeur contemporain, mais on s’est dit« on ne va pas demander à ajouter quelque chose d’intellectuel à quelque chose de tellement baroque, on va plutôt demander à décaler les sons ». Vous avez remarqué, tout est décalé, dans la première scène on entend des bruits de guerre ou de prières.C’est comme ça que le film s’est terminé vers 82-83.La première fois qu’il est passé, s’était au Festival des cultures méditerranéennes. Il y a eu des gens qui ont trouvé ça ignobles, scandaleux, ne voulant rien dire… Un an après on a eu une lettre de monsieur Jacques Poitrenaudqui nous invitait à Cannes.

SALAMA : Quelle a été la genèse du scénario ?

D.D.E : Je ne sais pas du tout. Ça m’est venu comme ça d’imaginer un couple qui revit des épisodes mythiques. J’ai résonné par situation d’images. Un couple qui s’ennuie à une soirée, qui partent dans un désert, qui revivent Adam et Eve.

SALAMA : Le film s’inscrit un peu dans son époque. Ça m’a fait penser à Jodorowski, à certains Pasolini… Quelles ont été vos influences ?

D.D.E : Fellini c’est sûr, pour les costumes.Vous savez, on m’a envoyé des messages où chacun y voit un réalisateur. Nous sommes des éponges, tout gosse j’ai dû m’imbiber d’un tas de réalisateurs.


SALAMA : En voyant le film, je me suis demandé s’il n’y avait pas une volonté de dénoncer la superficialité de l’époque, de sa jeunesse branchée, de la perte de sens du sacré…

D.D.E: La première scène est le reflet de tout ça. Des gens qui rigolent grossièrement, qui jettent des mégots, etc. Mais tout est dualiste dans ce film. C’est-à-dire qu’à la fin, au contraire, cette société est magnifiée.Il y a cette séquence bleue où le couple arrive après s’être séparé, tiré par des forces intérieures alors qu’ils voudraient se rejoindre (c’était dur à réaliser, cette scène). Cette fin toute bleue avec les gens poussiéreux voulait dire : cette société depuis le temps que le couple a évolué est poussiéreuse et eux vont dépoussiérer tout ça.Tout se détruit et tout revient à la vie.

SALAMA: Il y a un petit côté, prostitué de Babylone

D.D.E : Complètement. Il y avait d’ailleurs une phrase tirée de l’Ancien Testament que je voulais mettre mais que j’ai enlevé : « Nous buvons des coupes dorées sur les lits de Babylone. Elle (la prostitué) danse, danse mais tout est illusion. » Il n’y a que la fin qui intéressante car les gens se caressent, sans aller à la jouissance physique. C’est une reconnaissance du corps.Et le dernier plan c’est un Homme et une Femme qui s’étreigne. Et d’ailleurs le dernier chant, c’est nous qui l’avions composé « L’Amour est ressuscité ».

SALAMA :Pourquoi ce titre « Brulures » ?

D.D.E: Le film devait au départ s’appeler « L’air que nous respirons ». Je sentais qu’il y avait dans l’air ambiant une sorte de menace malgré la légèreté. Une société qui veut trop de plaisir. Je me sens chrétien ou bouddhiste de ce côté-là : se détacher des plaisirs et aller vers autre chose. Nos amis trouvaient se titre peut-être trop prétentieux. Et un jour, dans un café à Paris, je fumais et je me suis brulé le doigt. Je me suis dit « Tiens c’est vraiment des brulures ce film, aussi !», je l’ai donc appelé comme ça. C’est idiot, hein ?

SALAMA :Pourquoi avoir situé le gros du film sur la plage de Nunza ?

D.D.E: Je suis très attiré par la verdure et je suis très attiré dans la contradiction par les déserts. A l’époque on s’était dit que la Corse était trop touristique. Et donc j’ai dit « On prend une plage et on l’utilise comme unité de lieu. »Nunza sert de désert, de plage, de paradis terrestre. Un autre désert, celui des Agriates sert de décor pour Roméo et Juliette.

SALAMA : Vous avez fait d’autres films après ?

D.D.E: Non, j’ai fait des vidéos., un court-métrage. Ça a été tellement pénible que je crois que j’ai sorti tout ce qu’il y avait en moi. Ce film était tellement incommercialisable que je crois que ça m’a bloqué. Mais je n’ai jamais cessé de filmer.

SALAMA : On vous a considérer comme un pionnier du cinéma corse. Aujourd’hui quel regard portez-vous sur la production cinématographique de l’île ?

D.D.E: Je trouve que c’est formidable, ce qui se passe. Vous vous rendez compte ? Il y a toutes ces résidences ! Là j’aurais peut-être continué. Je commence vraiment à me libérer. Merci à la Cinémathèque, aux étudiants surtout. Vannina Bernard Leoni, Jean-Joseph Albertini ont fait une première projection, il y a 8-9 ans, à Corte et des jeunes s’en sont occupé et ont réorganisédes projections. La culture s’impose partout.

D.O

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