Décédée le 30 juin 2017 et entrée au Panthéon français le 1er juillet 2018, Simone Veil n’a, depuis son décès, cessée d’être honorée par de nombreux hommages de la part de la nation française pour tout ce qu’elle lui a apporté.
Mais des algériens et algériennes, généralement anciens détenu(e)s FLN en France, durant la guerre d’indépendance, lui sont tout autant reconnaissant pour ce combat que Mme Veil a mené en leur faveur, démontrant que le véritable humanisme ne s’arrête pas à ses frontières physiques, ses origines, sa culture ou encore son culte.
Pour parler de ce que l’une des plus grandes dames de l’Histoire a fait en faveur de l’Algérie et de ses citoyen(ne)s, nous avons demandé à Mr Mohand Zeggagh, plus jeune détenu d’entre les membres du FLN durant la guerre, et, depuis, sociologue ainsi qu’écrivain, de répondre à quelques questions pour nous rappeler cet acte de véritable bravoure qu’à eu Simone Veil, en faveurs des membres du FLN détenu(e)s dans les geôles françaises et algériennes, qui étaient voué(e)s à la peine de mort.
Salama : Le « candidat Macron» avait qualifié la colonisation de l’Algérie de « crime contre l’humanité », pensez-vous que l’on puisse voir, dans la partie de son discours de chef de l’État, durant l’hommage à Simone Veil, lors de la cérémonie d’entrée au Panthéon, où il a rappelé que celle-ci s’était battu pour l’amélioration des conditions de détention des femmes, une allusion directe à la lutte qu’elle avait menée pour les femmes, membres du FLN, détenues dans des conditions des plus inhumaines, en Algérie ?
Mohand Zeggahg : Avec des milliers d’autres militants du FLN, nous avons vécu plusieurs années de prison chacun à Fresnes et à Loos-les-Lille, physiquement et moralement éprouvantes. Les gouvernants français de l’époque, suivant l’idéologie dominante, voulaient maintenir les Algériens en tant que sujets colonisés, dans des conditions de vie humiliante et infériorisée en droite ligne avec le code de l’indigénat du deuxième collège. Nous, émigrés et prisonniers politiques ensuite, nous découvrions que le complexe de supériorité du système colonial avait tissé ses tentacules idéologiques jusque et y compris dans les conditions carcérales en vigueur.
Aux yeux des geôliers, les conditions d’enfermement reproduites à notre égard résultaient de cette idéologie dominante de l’époque, propagée au niveau des institutions de l’état en général. Seuls échappaient à cette chape idéologique colonialiste les catégories de la société civile française qui étaient déjà éveillées aux aspirations politiques démocratiques du strict respect du droit de tous les citoyens.
C’est ainsi qu’il convient de rappeler que des auteurs français éminents comme J.J. Rousseau, Voltaire, Emile Zola, Victor Hugo et d’autres étaient interdits de lecture pour les prisonniers que nous étions, car il ne fallait pas que nous découvrions les éléments de la pensée républicaine qui pouvaient nous conforter dans notre vision du monde aspirant à vivre en hommes libres.L’idéologie dominante de l’époque incitait à maintenir le sujet algérien colonisé dans l’ignorance en le maintenant le plus loin possible de tout ce qui pouvait donner lieu à l’éveil de la conscience politique, à la modernité et aux revendications démocratiques en général, notamment pour tout ce qui concerne la lutte anti coloniale considérée avant tout comme subversive.
Pour cela, et pour d’autres raisons relevant de notre dignité, nous nous sommes battus, par les moyens de protestation à notre disposition malgré la détention et la répression, aussi bien par les grèves de la faim que par des protestations quotidiennes pour obtenir par exemple le droit de recevoir des journaux français et les livres de notre choix, d’organiser l’alphabétisation en français et en arabe pour le maximum de prisonniers, car 90% étaient encore des analphabètes en 1959-1960. Enfin notre dignité d’hommes libres agissant par la pensée et les actes devait être prise en considération, malgré le rude contexte carcéral.
Dans ce combat, les avocats et les intellectuels français étaient souvent de notre côté. Grâce à nos avocats nous avons appris que certains responsables du ministère de la justice étaient favorables à nos revendications ; au premier plan desquels se trouvaient le ministre Edmond Michelet et Mme Simone Veil, directrice de l’administration pénitentiaire, tous deux anciens déportés dans les camps de l’Allemagne nazie. Pendant les grèves de la faim illimitées, ces informations de bienveillance à notre cause, nous apportaient une lueur d’espoir malgré notre enfermement.
Salama : Le « candidat Macron» avait qualifié la colonisation de l’Algérie de « crime contre l’humanité », pensez-vous que l’on puisse voir, dans la partie de son discours de chef de l’État, durant l’hommage à Simone Veil, lors de la cérémonie d’entrée au Panthéon, où il a rappelé que celle-ci s’était battu pour l’amélioration des conditions de détention des femmes, une allusion directe à la lutte qu’elle avait menée pour les femmes, membres du FLN, détenues dans des conditions des plus inhumaines, en Algérie ?
M.Z. : Cet hommage à Mme Simone Veil est avant tout fidèle à la vérité historique telle que nous l’avons vécue particulièrement dans les prisons pendant les douloureux moments des grèves de la faim. Toujours par nos avocats(la moitié environ était des femmes courageuses) porteurs au plus haut niveau des valeurs de la République, nous apprenions au fil des mois que Mme Veil avait déployé des efforts incessants et respectueux des droits humains pour recevoir de manière accélérée les avocats des condamnés à mort. Ainsi étaient étudiées en priorité les subtilités de la procédure pénale invoquées par les avocats en faisant diligence pour présenter au ministre les recours déposés. Elle-même et le ministre de la justice accueillaient de manière diligente les avocats des condamnés à mort, porteurs de recours et de demandes de grâce qu’ils présentaient au Président de la République, en dévoilant des éléments d’information nouveaux et de vice de procédure constatés pour repousser les dates fatales d’exécution.
Elle fut aussi l’initiatrice courageuse pour transférer les militantes FLN prisonnières en Algérie dans des prisons en territoire métropolitain, moins exposées aux violations des droits humains et à l’insécurité. C’est ainsi que toutes les prisonnières en Algérie, condamnées parfois à des peines lourdes, à 20 ans ou à perpétuité, furent extraites des prisons d’Algérie où elles étaient exposées aux maladies et aux violences. Elles furent transférées vers des prisons en France, notamment à Pau, à Rennes, à la Roquette à Paris. Même une fois détenues en France, Mme Veil poursuivit son action de solidarité, d’humanité et de bienveillance en leur rendant souvent visite de manière impromptue pour veiller sur leurs conditions de détention.
Elles sont devenues ses protégées au point où elle leur facilita la poursuite de leurs études qui permirent à plusieurs d’entre elles de devenir des avocates au lendemain de leur libération après l’indépendance.
Toutes ces actions de solidarité m’ont été rapportées et confirmées avec plus de détails encore, 40 ans plus tard, par Maîtres Nicole Dreyfus et Pierre Braun. Pour toutes ces raisons, je pense que le Président Bouteflika avait également considéré à juste titre, dans son intervention du 5 juillet 2017, après le décès de Mme Veil, que « le peuple algérien a compté Simone Veil parmi les amis de ses justes causes ». Je pense qu’il avait su grâce au récit d’anciens condamnés, combien son rôle avait été d’une solidarité permanente en faveur des prisonniers FLN en général et des prisonnières algériennes en particulier.
Salama : Simone Veil qui était française et juive le fait qu’elle s’est occupé des prisonniers Algeriens, pensez-vous pas que, d’instruire le plus grand nombre de français et d’algériens, ceci pourrait aider à aboutir à un véritable apaisement de part et d’autres, surtout dans cette période de retour à l’extrémisme des deux côtés ?
M.Z. : Je pense personnellement que l’avenir et l’amitié entre les deux peuples algérien et français doivent être conçus et édifiés sur l’impératif de la vérité historique. Il faut la faire connaître et reconnaître en toutes circonstances, en permettant aux historiens des deux pays d’en débattre publiquement alternativement dans les deux pays, pour que les deux peuples sachent ce qui s’est réellement passé, aussi douloureuses que soient les réalités des années de guerre.La véracité des faits historiques doit prévaloir au maximum. Les crimes commis ainsi que les faits doivent être reconnus dans leur totalité, tels qu’ils eurent lieu, pour apporter toujours plus de clarté et progresser vers l’apaisement des esprits.
Le devoir de mémoire, le devoir de vérité et le devoir de justice constituent ce triptyque de réalité et doivent prévaloir en toute circonstance, en évitant les faux fuyants ou encore la douteuse repentance aux accents religieux pernicieux qui oscille depuis toujours entre pressions électoralistes ou soumission au révisionnisme des tenants des soit- disant « bienfaits de la colonisation » qui resurgissent au fil des conjonctures électorales.
Il n’y a pas de guerres mémorielles, encore moins de parallélisme des responsabilités entre les tenants des résurgences de l’idéologie coloniale et la mémoire des Algériens qui ont tant lutté et souffert pour mettre fin au joug colonial. La guerre d’Algérie est finie, et le système colonial a perdu celle-ci et pour toujours.L’important c’est de donner la parole aux chercheurs et aux peuples des deux rives de la Méditerranée, d’ouvrir un débat sincère et clarificateur pour que triomphe enfin la vérité sur tous les processus de la domination coloniale en respectant la mémoire de ceux qui ont tant souffert des cruautés et des crimes du colonialisme.
Des deux côtés il est bien temps de reconnaître et de rendre hommage au rôle de solidarité et d’humanité des millions de Français :intellectuels, scientifiques, avocats, porteurs de valises, déserteurs, objecteurs de conscience,artistes,journalistes, sans oublier les démocrates,syndicalistes, les prêtres de la mission de France en métropole ainsi que ceux autour de Mgr Duval en Algérie et étudiants, y compris de l’extrême gauche, qui ont manifesté contre la guerre, ses crimes, la torture et la répression. Toutes les parties concernées, spécialistes, historiens peuvent agir pour que triomphe enfin, plus d’un demi-siècle après la guerre, la vérité sur les causes, les conséquences sociales subies par les peuples colonisés. Ces débats sincères ouverts et portés à la connaissance des deux peuples doivent prévaloir y compris dans les médias et s’assurer de l’ouverture sincère des archives connues ou dissimulées ainsi qu’aux témoignages individuels divers. Des rencontres et des conférences internationales à l’initiative de la France et de l’Algérie doivent être ouvertes sans entrave, sans tabou, avec pour seule boussole, la recherche de la vérité, toute la vérité, dans le strict respect de la liberté et de la dignité humaine. L’apaisement, la sincère coopération et le dépassement des blessures du passé sont à ce prix.
De telles perspectives prometteuses seront davantage valorisées dans le strict respect de l’intérêt mutuel des peuples algérien et français en permettant aussi à l’émigration algérienne en France depuis plusieurs générations de valoriser son rôle en tant que partie prenante dans toutes les luttes anti coloniales, de la création en 1926 en France de l’Étoile Nord-Africaine (ENA) à l’indépendance de l’Algérie et jusqu’à nos jours. Son rôle historique, majeur et constant à toutes les étapes sera ainsi reconnu pour lui permettre de jouer un rôle dynamique et positif de trait-d’union pour la paix, le développement et la restauration d’un climat de compréhension et de coopération fructueuse dans l’intérêt mutuel des deux peuples.