Festival du théâtre français de Barcelone : Interview de François Vila et...

Festival du théâtre français de Barcelone : Interview de François Vila et Mathilde Mottier, fondateurs de l’évènement

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Les fondateurs du festival Mathilde Mottier et François Vila à la Sala Beckett (Barcelone) © François Vila

Salama Magazine, partenaire de la première édition du Festival du Théâtre en Français qu’abritera la ville de Barcelone durant ce mois de février, a rencontré Mathilde Mottier et François Vila, les deux fondateurs de cet évènement théâtral majeur qui enrichit le paysage culturel dans la capitale Catalane. Interview. 

Salama Magazine : Quelle est la genèse du projet du premier Festival du Théâtre en Français de Barcelone ?

François Vila : c’est une idée commune, Mathilde avait eu un flash pour Barcelone. On adore cette ville. Je connais très bien Barcelone et au niveau culturel, il s’y passe beaucoup de choses en théâtre, en architecture… Barcelone n’est pas si loin que ça, les auteurs Français ne sont pas connus là-bas et les auteurs  barcelonais ne sont pas connus ici et pourtant ce sont deux pays qui sont côte à côte. On s’est demandé comment on pourrait essayer de faire un pont entre les deux, c’est un peu comme ça que l’idée du festival a germé, d’autant plus qu’avec un festival, on peut faire voyager des œuvres, faire rencontrer des gens, tout est possible … Pour ces artistes, ces comédiens, le fait de se retrouver dans un autre pays dans le même cadre, le point de vue par rapport à d’où tu viens n’est pas le même. En France, les choses sont très encadrées : théâtre public, théâtre privé, subventionné, non subventionné, dés qu’on franchit la frontière, les choses ne sont plus les mêmes. Ces rencontres sont une manière de briser les frontières bureaucratiques et idéologiques : à titre d’exemple, les barrières qui existent en France entre le théâtre public et le théâtre privé; chose qui n’existe pas en Espagne. Un auteur peut aussi bien écrire pour le théâtre public que le théâtre privé. Même chose pour un metteur en scène ou pour un comédien.

Mathilde Mottier : En fait, pour parler de genèse, en France on fait de la production et de la diffusion et on a eu envie de s’ouvrir à l‘extérieur. Il se trouve que François connait très bien Barcelone par ses origines. On a eu envie s’ouvrir à des possibilités de coproductions internationales… Les auteurs se rencontrent, se nourrissent des dramaturgies qui sont différentes d’un pays à l’autre, et que forcement, quand il y a des rencontres il y a des suites de collaborations après… Quelques fois il y a des initiatives ; des pièces qui sont créées dans le public et qui sont reprises dans le privé et inversement des pièces de théâtre créer dans le privé puis reprise dans le public. Les gens du théâtre vont se voir les uns les autres, en France c’est plus compliqué, c’est pour cette liberté-là qu’on a eu envie de dépasser la frontière.

Salama Magazine : Créer une nouvelle manifestation culturelle dans son propre pays n’est déjà pas une mince affaire, alors que créer une nouvelle manifestation culturelle dans un pays étranger consiste donc à relever de grands défis …

François Vila : Effectivement, cela n’est pas facile à organiser mais c’est surtout une aventure humaine, il faut prendre le temps de rencontrer les gens, comprendre le terrain. Cela fait plus de deux ans qu’on fait des allers-retours entre Barcelone et Paris, qu’on voit des pièces de théâtre en catalan et qu’on rencontre des metteurs en scène barcelonais, des auteurs, des compagnies théâtrales, on est aussi parti à la rencontre des français qui habitent à Barcelone pour recueillir leurs propres visions de la dynamique culturelle de cette ville. En France, quand on parlé de notre projet de festival de théâtre francophone, on nous regardait avec des grands yeux. Nos interlocuteurs étaient dubitatifs. En revanche, les catalans étaient très enthousiastes à cette idée. L’attente est beaucoup plus forte du coté catalan que du coté français. Le fait que je parle le catalan était un atout pour moi, je suis d’origine espagnole donc j’ai les mêmes références culturelles que les Catalans. Mathilde et moi-même ne sommes pas intéressés à la création culturelle  actuelle, surtout en matière de théâtre.…

Mathilde Mottier : Par apport aux difficultés et aux facilités, elles ne sont pas les mêmes à Barcelone. Venant de Paris, nous avons eu des rendez-vous assez rapidement. Trouver des partenaires est plus compliqué : il faut de la patience. A Barcelone, nous avons rencontré des compagnies théâtrales qui sont en attentes de collaboration à l’international pour s’enrichir, qui créent en Castillan ou en Catalan. Et ils ont envie de collaborer avec des étrangers d’une manière générale. Pour les Catalans de plus de 40 ans, le français fait parti de leur éducation. C’est la première langue étrangère étudiée. à l’époque, les familles qui mettaient leurs enfants dans des écoles pour apprendre le français et particulièrement le lycée français, le faisaient pour échapper à l’enseignement de Franco.

François Vila : Pour toute une génération de catalans, l’apprentissage de la langue française a été la soupape de suivi intellectuel, tous ceux qui sont passé par le lycée français, c’était un lycée français totalement indépendant de l’idéologie catholico-franquiste où il était interdit de parler le Catalan et les cours de religion étaient obligatoires, en fin de compte pour beaucoup de catalans, le français était la langue de la révolution, de la liberté et de la république.

C’est la langue de Victor Hugo, de Voltaire, le français est considéré comme un puits de richesse culturelle, depuis la fin du franquisme en 1975 l’enseignement du Catalan a été réintroduit à l’école dans la région de Barcelone, le français est la langue la plus proche du catalan. Beaucoup d’intellectuels Catalans se sont réfugiés en France et sont de véritables francophones.

Salama Magazine : à Barcelone il y a un très grand nombre de francophones qui y résident et pas uniquement des Français …

François Vila : Effectivement il y a beaucoup de Français, de Belges et de Suisses mais paradoxalement ce n’est pas la communauté étrangère la plus importante de Barcelone, en première position il y a les Italiens suivi des Pakistanais puis les Chinois et enfin les Français qui représentent à peu près 50000 expatriés dans toute la catalogne.

Salama Magazine : Pourquoi un festival de théâtre francophone ?

Mathilde Mottier : C’est un festival de théâtre francophone qui utilise la langue française, on ne veut pas fermer la porte à un artiste qui à émigrer au Québec et qui s’exprime en Français tel que Wajdi Mouawad, il dit « mon pays c’est ma langue », il est libanais il a vécu au Québec,  maintenant il vit à Paris ou il dirige un théâtre prestigieux, pourquoi cette envie de créer ce festival, nous, on est d’expression française et on s’est dit il y a quelque chose à faire à Barcelone et l’idée à mordue, aujourd’hui on parle français partout dans le monde, en Afrique, au Québec, au Maghreb, au Liban…

Dans notre programmation plusieurs pièces bien que francophones sont éclectiques géographiquement, Le porteur d’histoire se passe en partie en Algérie, la pièce de Rayhana Je me cache encore pour fumer se passe dans un hammam Algérois, Le cèdre du Liban écrit en français par une auteure iranienne et qui parle du Liban avec une écriture universelle, on a lu des textes qui venaient des caraïbes avec un imaginaire complètement différent.

Salama Magazine : Comment a été pensée la programmation de la 1ère édition du Festival du théâtre francophone de Barcelone ?

Mathilde Mottier : Ce festival a été pensé d’une manière globale avec des envies de plusieurs stades d’élaboration des œuvres ; on a initié un partenariat entre l’institut du théâtre de Barcelone et le conservatoire nationale de Paris, d’ailleurs 15 étudiants du conservatoire qui viennent en amont du festival et qui repartent après, ils vont étudier avec une quinzaine d’étudiant barcelonais, ces rencontres donneront leurs fruits plus tard, puis nous présenterons des œuvres qui ont un parcours intéressant et qui ont beaucoup tourner, (A mon âge je me cache encore pour fumer, Les porteurs d’histoire), d’autres toutes fraichement monter comme Le dernier cèdre du Liban et puis des lectures, et il y a un autre axe : les rencontres professionnelles ouvertes au public sur le thème de la traduction et de l’adaptation d’une langue à une autre, car il y a une réécriture avec langage imagé de la propre langue, l’exemple parfait qui illustre cela est Sergi Belbel à qui on a demandé de réutiliser sa traduction de La solitude des champs de coton pour le théâtre national de Catalogne, il a dit ok, il a repris sa version qu’il avait traduite il y a 15 ans, il a dit qu’il devait tout recommencer, il n’est pas reparti de sa traduction, il est reparti du Français par ce que la langue catalogne à évoluer depuis 15 ans et il voulait s’exprimer autrement.

François Vila : On a beaucoup d’ambitions pour ce festival, nous espérons créer des résidences d’auteurs pour cette édition ou les éditions suivantes, qui viennent ici pour rencontrer d’autres auteurs et de vivre des choses de l’intérieur ce qui permet de s’ouvrir aux autres.

Mathilde Mottier : Il se trouve que pour cette 1re édition il y a une ligne qu’on peut retracer en regardant la programmation c’est qu’il y a une ligne qui se démarque de la programmation, et une écriture féminine et une thématique féminine très importante, Pour François et moi c’est très important à souligner car tant en Espagne qu’en France, les femmes représentent 25% des œuvres montées, la parité on en est loin donc c’est important qu’il y ait beaucoup de femmes sur scène, beaucoup de femmes à l’écriture et des thématiques liées aux femmes.

François Vila : L’un des axes de la programmation a été de penser à présenter des portraits de femmes, d’ailleurs cela nous amène à des sujets très différents, cela va aussi bien de The Shag l’histoire de trois filles qui sont complètement dominés par leur père qui les pousse à devenir des stars du rock… dans Le dernier cèdre du Liban il est question d’une femme reporter , Dans la pièce A mon âge je me cache encore pour fumer c’est la paroles retrouvée de plusieurs femmes Algéroises dans un espace exclusivement féminin, autre exemple la pièce Benjamine et Marguerite, c’est l’histoire d’une petite fille qui rentre en communication avec son arrière-grand-mère, à 100 ans de différence.

Salama Magazine : Pourquoi avez-vous choisi le mois de février pour le déroulement du festival ?

François Vila : Pendant deux ans on à observé ce qui se passaient à Barcelone, en novembre il y a plusieurs événements culturels en catalogne dont le grand festival Temporal del arta qui dure jusqu’à la mi-décembre. Et puis quand il commence à faire beau on est plus entrain à aller à la plage qu’aller dans un théâtre, donc pour nous le mois de février est la période idéal pour ce type de festival.

Mathilde Mottier : Cette période correspond à une bascule entre deux saisons, les dix jours qu’on occupe correspondent à la période des vacances de février en France par contre à Barcelone c’est la semaine d’avant les vacances, il y a de nombreuses activités dont le salon internationale du mobile de Barcelone qui draine un nombre hallucinant de participants venu du monde entier et la ville est complètement saturé durant cette événement, donc on a voulu évité cette période là, d’autres part cela arrangeai les structures et institutions qui nous accueillent et qui nous soutiennent.

Salama Magazine : Quelle est l’ambition de ce festival et comment il pourrait trouver sa place dans le paysage culturel espagnol ?

François Vila : Notre festival ne fait de l’ombre à personne, nous sommes en concurrence avec aucun autre festival, il y a de la place pour tout le monde, c’est un concept qui n’existait pas, nous avons rencontré le précédent directeur du Grec, le plus grand festival de théâtre à Barcelone qui se déroule au mois de juillet, qui était très enthousiaste de notre projet et nous proposais d’éventuelles collaborations, les choses ne sont pas vécues en concurrence comme en France.

Mathilde Mottier : Il y aussi pas mal d’étudiants, d’écoles de langues, le lycée français par exemple, ils amènent les élèves au théâtre 8 fois dans l’année, mais ils assistent à des pièces de théâtre en catalan, là ils pourront voir du théâtre en Français.

Salama Magazine : à long terme quelles sont les perspectives de ce festival ?

Mathilde Mottier : Des coproductions et pas forcément uniquement des coproductions franco-espagnoles, à titre d’exemple, la région de Barcelone qui nous aide, sur cette première édition ils sont partenaires à petite échelle proportionnellement, mais sur la seconde édition ils veulent soutenir une pièce de théâtre du festival mais qui rayonnera par la suite dans toute la région, si par exemple on fait travailler en résidence une compagnie du Québec avec une compagnie française ou suisse et qu’ensuite ils créent une pièce, cette dernière sera présentée en Espagne, en France, en suisse et au Québec, la magie des rencontres fait que des choses aboutissent forcément.

François Vila : Par exemple, un des théâtres avec qui on a eu un bon échange c’est le théâtre indépendant Almeria de Barcelone qui nous laisse les clés de leur théâtre au moment où il faut la création de leur future pièce autour de Don Quichotte au Québec.

Propos recueillis par Kamel AZOUZ

Pour plus d’informations :

www.festivaldetheatreenfrancais.com

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